Quand j’étais enfant, j’étais fasciné par les photos contenues dans les pages des centaines d’exemplaires de National Geographic qui encombraient les rayons de la bibliothèque familiale. Ces photos furent mon introduction au monde des voyages. Mais ce qui m’a vraiment donné le goût de voyager, ce sont les cartes postales envoyées par mon oncle Gilbert Bolduc au cours de ses innombrables virées dans des contrées aux noms si exotiques. Pour moi, ces cartes dégageaient un parfum d’aventure, elles lançaient un appel à la liberté. Elles m’ont prouvé qu’il y avait tant à découvrir ailleurs, mais surtout, qu’il était possible d’explorer ce que la planète avait à offrir. Globe-trotter accompli, Gilbert a visité, au fil des décennies, plus de 75 pays sur 6 continents. Il possède une expérience à faire rêver tout voyageur digne de ce nom. Or comme je reviens d’un tour du monde, le plus grand voyage de ma vie, j’ai pensé que le moment était tout indiqué pour rendre hommage à mon mentor. Je lui ai donc demandé s’il voulait faire une entrevue pour mon blogue et, ô joie, il a accepté. Buvez maintenant les paroles de la sagesse, chères lectrices et chers lecteurs…
Pourquoi voyager?
Ça émane d’une pulsion irrépressible. Une sorte de fièvre irrationnelle qui s’empare de moi et à laquelle rien ne résiste, même la Raison, la seule divinité que je reconnais. Je voyage pour prendre le pouls du monde. Pour voir « l’Autre » dans ses pantoufles ou ses habits du dimanche. Ou du vendredi… en terre d’Islam… Pour prendre la mesure de la diversité des peuples, des paysages et des façons de vivre. Pour être ébloui ou choqué. Pour mieux apprécier ce qu’il y a autour de moi ou me désoler de ce qu’il n’y a pas. Pour mieux comprendre qui je suis et d’où je viens…
Quel fut ton premier “vrai” voyage?
Un nowhere en solo qui s’est plutôt bien passé. Montréal-Paris avec trois nuitées à Paris dans un hôtel peu étoilé. Avec Tourbec, à 535$ de l’époque. Découverte des humeurs barométriques parisiennes. Slaloms entre les cacas canins. Suivit une virée européenne Eurail-Pass qui m’a mené jusqu’à Stockholm et s’est terminée en Grèce. Trois mois de relative solitude puisque j’évitais les auberges de jeunesse, m’étant fait « emprunter » mon drap-linceul obligatoire lors de mon premier séjour dans un tel lieu à Strasbourg. Rancunier le bonhomme… Je préférais loger dans des endroits crades avec coquerelles et punaises à gogo plutôt que de reprendre le Gringo Trail et de me faire bassiner par des récitals impromptus de guitare à 3 heures du matin… « The house of the Rising Sun” ou « Les jeux interdits » avaient la cote à l’époque. Jusqu’à plus soif…
À quel point définis-tu tes plans, quand tu visites un pays?
Plus jeune, je voyageais en sans-dessein. Un « Lets go Europe » comportant un minimum d’information me semblait approprié. En vieillissant, je deviens meilleur étudiant, ou bêtement plus insécure, plus pantouflard ; je me documente, je potasse guide sur guide, jusqu’à la boulimie. La Grande Bibliothèque est ma meilleure amie. Je ne veux pas ou plus être pris au dépourvu. Mission impossible…
Que penses-tu des guides de voyage?
Comme les moules et les vins ontariens; il y en a de bons, il y en a d’infects. Le Routard me pue au nez. L’humour potache franchouillard a bien mal vieilli. Les soixante-huitards sont des ti-mononcles devenus … Le logo du gars qui traîne la planète sur son dos sent le patchouli et le bas de laine faisandé; les recherches sur le terrain me semblent souvent bâclées, les infos périmées. J’utilise beaucoup le Lonely Planet. J’aime son côté pratique. La clarté des cartes. La fraîcheur quasi-garantie des infos ainsi que l’humour pince-sans-ricaner comme une hyène. La série Rough Guides offre davantage à lire et à réfléchir. Idéale pour les longs trajets ou les heures creuses dans les aéroports ou dans une geôle birmane en période de mousson.
Comment l’arrivée d’Internet a-t-elle transformé l’univers des voyages?
Une RÉVOLUTION en ce qui me concerne. Un grand nombre d’emmerdements classiques du voyage ont été rabotés. Communication avec les banques. Réservations. Accès aux forums de voyage. Une bienfaisante pluie de bienfaits…
Qu’est-ce que tu aimais le plus et qu’est-ce que tu aimais le moins de l’époque pré-Internet?
Je n’éprouve vraiment aucune nostalgie pour l’âge de pierre sinon qu’à l’époque ma calvitie était sous contrôle. Je reste pantois quand on critique ces nouvelles technologies, surtout quand il est question de l’usage qu’on peut en faire en voyage. Je me rappelle les heures passées dans des banques françaises ou mexicaines simplement pour encaisser un chèque de voyage, le Graal de l’époque. Je me demande s’il y a encore des gens qui utilisent ces aimants à embêtements. Ai vécu l’expérience transcendante de régler une facture d’Hydro-Québec depuis un cybercafé indien fréquenté pas des poules et même par une vache sacrée particulièrement fouineuse.
Qu’est-ce que tu aimes le plus et qu’est-ce que tu aimes le moins de l’époque post-Internet?
J’aime à peu près tout de ce qu’Internet a apporté comme changements dans la façon de voyager. Pour être un brin bégueule, je pourrais déplorer l’uniformisation galopante de la planète; phénomène particulièrement évident dans les hostels et autres lieu de prédilection de la jeunesse en mouvement. Les Italiens et les Espagnols ne communiquent plus qu’en anglais. Au Cap, j’ai rencontré un Suisse romand qui disait venir de « Geneva » et que l’accent québécois amusait énormément…
Comment ta façon de voyager a-t-elle évolué avec les années?
Mieux documenté, souvent longtemps avant le départ à tel point que j’ai parfois l’impression de voyager uniquement pour valider la pertinence de mes lectures… j’accepte de ne pas tout voir… j’essaie davantage de sortir des sentiers trop flagellés… fuir les plages que j’ai pourtant tellement fréquentées à l’époque. Après m’y être tant plu, je m’y emmerde comme un rat pas mort mais pas fort.
Quelles leçons retires-tu de tes voyages?
Innombrables. Perdu l’illusion qu’on pouvait franchir facilement et impunément les barrières culturelles. Pris la mesure des abysses qui séparent le « premier » monde des autres et de la bonne fortune que j’ai d’en être issu.
Qu’est-ce qui te pousse à voyager encore, après tout ce temps passé à barouder partout sur la planète?
Parfois je me le demande. Rien ne ressemble plus a un hostel a B.A qu’un hostel à K.L … Bob Marley est omniprésent sous toutes les latitudes… et pourtant, ma curiosité n’est jamais assouvie…
Si on te donnait la possibilité de voyager n’importe où, à n’importe quelle époque, quelle destination et quelle époque choisirais-tu?
Notre époque. Demain matin, idéalement. Avec un portable. En Géorgie du Sud pendant l’été austral. J’irais me faire voir chez les manchots empereur et les baleines à bosses, ou sans. Pour moi, le Grand Sud est l’ultime frontière. À Ushuaia, à la Terre-de-Feu, je pouvais voir les bateaux en partance pour le cap Horn ou l’Antarctique … mon cœur les accompagnait jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent dans les brumes glaciales…
Si tu devais écrire un livre sur tous tes voyages, quel en serait le titre?
Le titre du livre que je n’écrirai probablement jamais serait : « Tant à voir; si peu de temps pour le faire… » …genre…
Quels sont tes projets de voyage?
Petite fin d’année en vue. L’Inde pour la troisième fois en octobre-novembre et, pour les fêtes de fin d’année le Mexique ( Oaxaca-Veracruz ) pour la xième. Années de vaches pas pires quand même… Pour 2013 … rien d’arrêté pour le moment…
La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.
Mais il est super ton oncle ! Merci pour cette première partie d’interview pleine de vie et de franc parler.
Oui, Gilbert est un homme extraordinaire, intègre. Content de voir que tu as apprécié l’entrevue, que tu as perçu son énergie et son franc-parler. Et il est encore plus intéressant en personne…