Voyager sur une période couvrant plusieurs décennies apporte nécessairement son lot de moments cocasses, légers, agréables, ridicules, désagréables, inconfortables, voire dangereux. Gilbert Bolduc, mon oncle globe-trotter, mon mentor, a vécu au cours de ses nombreux voyages toutes sortes de péripéties qui font de lui une intarissable source d’anecdotes en tous genres. Vous trouverez ainsi dans les lignes suivantes quelques histoires savoureuses tirées de ses expériences. Bonne lecture.
L’objet dont tu te sers le plus en voyage?
L’ordi et, hélas, le papier de toilette…
L’objet dont tu ne te sers jamais mais que tu apportes toujours quand même?
Un oreiller gonflable pour « mieux » dormir en avion. Ça m’angoisse, ça m’étouffe. C’est une invention du Malin.
L’objet qui n’existe pas encore mais que tu aimerais inventer pour faciliter les voyages?
Une télécommande résolument universelle mais très discrète capable de contrôler le volume de la musique qu’on nous impose de plus en plus, partout et en tout temps. Un dispositif finement vicieux capable de dérégler efficacement mais temporairement les téléviseurs trop bruyants, les cellulaires sur-utilisés et l’appareil locutoire des prosélytes de toute obédience.
Le souvenir le plus ridicule que tu as acheté en voyage?
Des figurines animales de porcelaine plutôt kitsch ramenées du fin fond de l’Amazonie brésilienne. Je les croyais du cru; j’ai retrouvé les mêmes au Dollarama à Montréal. À bien meilleur prix… Ma maman les exhibe encore fièrement dans son micro-appartement. Que ça reste entre nous!
L’aliment, boisson ou mets que tu aimes comparer d’un pays à l’autre?
Je dirais le vin mais il y a tellement d’endroits où il est introuvable, hors de prix ou tout simplement atroce… Le pain par contre … du Pumpernickel bien noir tartiné de graisse de cochon dans un resto souabe de Berlin au divin Nan indien… en passant par le pain demi-levain qui accompagne les sardines fraîchement pêchées et grillées dans l’heure sur la côte marocaine… je ne résiste jamais à une nouveauté boulangère…
Le groupe musical que tu préfères écouter en voyage?
J’en écoute bien peu. Je n’aime pas m’isoler dans une bulle, dans un nouvel environnement. Toute mon attention est portée sur ce qui m’a incité à me rendre là où je me trouve. Dans les périodes d’attente, dans un environnement désagréable, j’écoute surtout les podcasts qui se sont empilés dans mon iPod. Il m’arrive aussi de revisiter des tounes fétiches. « Douze homme rapaillés » « Leonard Cohen » du fado, des classiques français… C’est ce qui me vient à l’esprit…
Des découvertes artistiques que tu as faites durant tes périples que tu aimerais partager avec les lecteurs (peinture, musique, littérature, etc.)?
Artistique … euh… suis un peu overdose des musées prestigieux… j’ai fait mes classes… Ce qui retient le plus mon attention, c’est l’affichage commercial dans le Tiers-Monde. Broche à foin en général, parfois carrément pathétique dans son désir d’imiter les grandes marques mais souvent attendrissant, irradiant la beauté intérieure d’un enfant trisomique. Il y aurait un tome ou deux à écrire sur les pubs de caleçons en Inde. La grande classe! Des vedettes de Bollywood devenues adipeuses avec le temps et la gloire s’exhibent en petite tenue… les couleurs sont criardes, l’effet est sidérant…
La superstition dont tu ne peux te débarrasser en voyage, si incongrue soit-elle?
Il ne m’en vient pas à l’esprit; je dois être rationnel. Je vais sûrement rencontrer Jésus ou Mahomet à un tournant et devenir à mon tour un enquiquineur de première…
Le pays que tu as préféré et pourquoi?
La question cruelle !!! As-tu vu « Sophie’s choice » ? L’Inde, toute exaspérante qu’elle soit, devrait figurer en tête de liste… Je focalise moins sur des pays que sur des régions ou des lieux qui deviennent mythiques à mes yeux : l’archipel chilien de Chiloé, la région très rurale de Wuyuan, en Chine. Les déserts technicolores de Namibie. Le Red Centre australien. Berlin. Londres. Le Cap. Rio. Buenos Aires. Beijing. Kyoto. Paris, bien évidemment… arrêtez-moi quelqu’un!
Le pays que tu as le moins aimé et pourquoi?
Le Honduras… bizarre, non? À l’époque ou je l’ai visité, il était profondément inféodé aux États-Unis qui y maintenaient des bases pour combattre la « menace » nicaraguayenne. Le kaki était omniprésent. La suspicion régnait… je me suis fait suivre de l’aéroport au centre-ville de San-Pedro-Sula par un prétendant collant au départ, menaçant par la suite… Il semblait vouloir exercer sur moi une certaine forme de droit de cuissage et parlait de ses “amigos influentes”. Vertueux comme je suis, je me suis retiré dans la dompe qui me servait de chambre et, au matin, j’ai sacré mon camp ben hardiment de ce bled infect. Partout dans le pays, on n’entendait que de la musique américaine particulièrement poche, à fond la caisse, of course. Dans le bus, les bébés hurlaient de terreur, ce qui faisait bien rire le crétin de chauffeur qui en rajoutait une couche. Parlant de couches, la plage idyllique de Tela en était constellée comme autant de méduses brunâtres… À Tegulcigalpa, la petite capitale, la circulation était démentielle… bon, vous avez certainement saisi le topo… je n’y suis jamais retourné, bien que plusieurs de mes amis capotent sur les îles de Roatan et d’Utila.
Ton plus beau souvenir de voyage?
Pushkar, mini-Varanasi du Rajasthan, par une soirée plutôt frisquette. En rentrant à l’hôtel, mon chum et moi avons involontairement réveillé une couvée de cochons noirs assoupis benoîtement dans un « lit » de vaches sacrées. Ils avaient l’air courroucé qu’on ait ainsi saboté un si bel arrangement et interrompu leur douce rêverie. On en rit encore. Eux sont probablement passés à la casserole ou morts d’eczéma terminal…
L’expérience de voyage que tu ne souhaites jamais revivre?
Être largué à la brunante sur une route de montagne au Monténégro parce que le bus a râlé son dernier râlement. Me retrouver fin seul sur la dite route, les autres passagers ayant réussi à héler d’autres montures. Rencontrer un groupe d’ados plutôt teigneux, voir reluire la lame d’un couteau au clair de lune… être sauvé par la peau des dents parce que l’un des boutonneux baragouine vaguement l’allemand et décide de me prendre sous son aile grêle pour m’escorter jusqu’au bourg le plus près: Titograd, devenu Podgorica après l’effondrement de la fédération yougoslave… ce soir-là, j’ai logé à l’hôtel le plus cher de la ville. Je crois que j’étais le seul à y “pernocter”… spooky…
Un secret de voyage que tu n’as jamais révélé… jusqu’à maintenant?
Il m’est souvent arrivé de me demander: « Qu’est-ce que tu es venu foutre ici? Calvaire! »
Et ainsi s’exprime la voix de la sagesse. Cette voix qui me racontait, alors que ma jeune tête concevait l’Ontario comme l’autre bout du monde, des expériences échappant parfois à mon entendement; cette voix qui me parlait de lieux dont j’avais de la difficulté à prononcer les noms; cette voix qui dégageait une passion que je percevais rarement chez les autres adultes; cette voix qui, encore aujourd’hui, me sert de guide, quand trop de doutes envahissent mon esprit de voyageur. Cette voix, c’est celle de Gilbert. C’est donc avec beaucoup de fierté que je vous présente cette entrevue. Maintenant que j’ai effectué un tour du monde, que j’ai réalisé ce rêve fou, maintenant que j’ai le sentiment d’être devenu un vrai voyageur, je ne peux que rendre hommage à l’homme qui m’a inoculé ce merveilleux virus appelé “voyage”. Merci, Melchior Bolstein. Je t’aime.
tu m’as parlé souvent de lui et c’est drôle, je le reconnais en lisant les lignes, bien que je ne crois pas l’avoir jamais rencontré en vrai…
Merci beaucoup pour ce commentaire, Eve, je le prends comme un très beau compliment.
Mais qui ne sait jamais demandé “qu’est-ce que je fous ici ?” (même si ma version perso est plutôt “à quel moment j’ai trouvé que c’était une bonne idée de venir là ?”
Tu as beaucoup de chance d’avoir eu une telle personne dans ton entourage pendant ton enfance. A quand un voyage tous les deux ? (je pense ainsi à un ebook d’une jeune femme partie dans l’Himalaya avec son père bien retraité).
“qui ne s’est jamais demandé…” (je devrais arrêter d’écrire en fin de journée, mon français est pitoyable, toutes mes excuses).
En effet, je crois que ça arrive à toute personne qui voyage, à un moment ou à un autre. Et en effet, la formulation de cette question peut varier d’une personne à l’autre… ha ha. Oui, je me trouve chanceux d’avoir eu cette présence positive durant mon enfance. Et quant à un voyage avec lui, je suis bien sûr ouvert à l’idée. Avec nos styles de voyageur respectifs, ce pourrait être plutôt divertissant…