13 questions sérieuses à Audrée

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Audrée et son nouvel ami, dans le village de Sontas, en Indonésie (photo prise par Kaspar Shouldice)

Audrée et son nouvel ami, dans le village de Sontas, en Indonésie (photo prise par Kaspar Shouldice)

Il arrive parfois que, en voyage, on rencontre quelques problèmes de santé: une insolation, une gastro-entérite, un “Koh Phangan tattoo”, etc. Mais, au fil des années, je n’ai croisé que peu de gens ayant vécu des incidents qui auraient réellement pu faire basculer leur vie. Or mon amie Audrée Favreau-Pinet, cofondatrice de l’organisme à but non lucratif Écotrip, a connu une telle situation. Lors d’un séjour en Indonésie, elle a subi une blessure qui aurait pu avoir de sérieuses conséquences sur sa vie. Je connaissais des bribes de son histoire, mais dans cette première partie d’entrevue, elle donne les détails de cette terrible mésaventure.

Qu’est-ce qui t’a amenée en Indonésie?

J’ai participé à un échange interculturel avec l’organisme Jeunesse Canada Monde. Nous passions trois mois dans une communauté canadienne (White Rock, en Colombie-Britannique) et quatre mois dans un autre pays (sur l’île de Bornéo, en Indonésie).

Comment est survenu « l’incident »?

C’est très « niaiseux »! Une armoire dans ma chambre était brisée et il y avait un bout de bois avec un tout petit clou par terre… et j’ai marché sur le clou, qui est entré dans mon talon. Le plus bizarre, c’est que je n’ai pas eu de douleur immédiatement, mais seulement 48 h plus tard. Une bactérie a dû entrer et se loger dans la plaie.

Quelle a été la réaction des villageois quand ils ont réalisé que tu étais blessée?

Dès l’apparition de la douleur, je savais que quelque chose clochait et que ce n’était pas banal. C’était au beau milieu de la nuit, durant une grande fête pour célébrer notre passage au village et notre départ; nous quittions le lendemain matin pour amorcer le voyage de retour vers le Canada. En quelques heures seulement, la douleur avait décuplé et je ne pouvais plus du tout marcher. Quand quelques-uns des jeunes adultes avec qui on faisait la fête ce soir-là ont réalisé la situation, ils ont tout de suite voulu m’aider en utilisant une médecine traditionnelle. Puisque j’avais marché sur un clou, leurs croyances indiquaient de frapper sur ma plaie avec un marteau!!! Comme il était 3 h du matin et qu’on n’avait pas de marteau à portée de la main, ils ont pris une bouteille de vin pour faire le travail. Trois des jeunes hommes du village m’ont immobilisée par terre pendant qu’un quatrième a frappé avec la bouteille directement sur ma blessure. Pendant que je me débattais, ils voulaient me rassurer et me répétaient: « It’s ok, it’s ok, traditional! » Ils voulaient réellement m’aider…

Quelle était ta perception des médecines traditionnelles avant l’incident? Et quelle est ta perception de celles-ci, maintenant?

Avant mon voyage en Indonésie, je n’avais jamais été un témoin direct de la pratique d’une médecine traditionnelle. Toutefois, au moment de l’incident, ça faisait quand même quatre mois que j’habitais dans le village de Sontas. Au fil du temps, j’avais eu à prendre une bonne quantité de pommades et de boissons et j’avais écouté beaucoup de chants et de prières visant à me « guérir » de… n’importe quoi! Je trouvais important de montrer aux villageois que je respectais leurs croyances, alors je jouais le jeu. Toutefois, quand ils ont voulu me frapper avec un marteau, je trouvais ça beaucoup moins drôle! Aujourd’hui, quelques années plus tard, je ne veux pas porter de jugement sur leurs croyances et habitudes: si ça fonctionne pour eux, qui suis-je pour juger?

Comment qualifierais-tu la communication entre les villageois et toi, à la suite de l’incident?

À Sontas, personne ne parlait français ni anglais. J’avais appris à baragouiner la langue indonésienne, mais je n’étais quand même pas en mesure de soutenir une conversation dans un moment de détresse. Quand j’ai fait savoir aux villageois que je voulais partir et aller me faire soigner dans un hôpital, ils pensaient que je ne comprenais pas qu’ils voulaient marteler mon pied « pour mon bien ». Le matin venu, mon départ a été très précipité: j’ai presque dû m’enfuir parce que le mot s’était passé sur ma condition et tout le monde cherchait LE marteau qui pourrait me guérir!

À quel moment les villageois ont réalisé que tu devais vraiment aller à hôpital?

Jamais! Ils étaient convaincus qu’ils pouvaient me guérir eux-mêmes.

Comment s’est déroulé le transport vers l’hôpital?

Ce moment est honnêtement un des pires souvenirs de ma vie. La grande ville la plus proche de Sontas était à 9 h de route, via des chemins cahoteux et difficiles. Chaque bosse et trou me faisaient l’effet d’un choc électrique. Une amie qui m’accompagnait a dû tenir ma jambe surélevée dans ses mains pendant pratiquement tout le trajet. C’est aussi à ce moment que j’ai commencé à avoir de la fièvre et, parallèlement, à avoir très peur: je réalisais que ma condition était plus grave que ce que je pensais.

Une fois à l’hôpital, qu’est-ce qui s’est passé? 

On a trouvé une petite clinique après 3 h de route. Ce n’était pas un hôpital, mais les gens qui étaient avec moi croyaient que c’était mieux que rien. Personne ne parlait français ni anglais. J’étais fiévreuse et très confuse. On voyait clairement que l’infection « montait » dans ma jambe et avait presque atteint mon genou. On m’a fait deux piqûres et donné des comprimés. À ce jour, je ne sais pas ce qu’ils m’ont injecté et quels étaient les médicaments. Quand je suis arrivée au « vrai » hôpital, les médecins ont jeté les premiers médicaments et m’en ont prescrit d’autres. À ce moment de mon voyage, je devais prendre une série d’avions pour rentrer au Canada. Même si j’étais très malade, il était hors de question que je les manque. Le premier vol (Indonésie-Malaisie) d’une heure a été horrible; la pression de l’avion a fait quintupler la douleur. Mais j’étais têtue. J’ai voulu faire le deuxième vol de deux heures (Malaisie-Singapour). Arrivée à Singapour, un ami m’a convaincue d’aller consulter le médecin de l’aéroport pour savoir si je pouvais prendre le prochain vol de 3 h (Singapour-Hong Kong) et, surtout, le suivant, de 18 h (Hong Kong-Vancouver)! Les mots du médecin ont fait l’effet d’une bombe: « You should be in a hospital and you’re going to a hospital right now. » C’est à Singapour que j’ai été finalement hospitalisée. Mon groupe, lui, a dû quitter pour prendre les avions prévus à l’horaire. C’était un choc pour tout le monde.

Durant ta convalescence, quelles pensées traversaient ton esprit? Quels sentiments éprouvais-tu?

J’ai eu très peur lors de mon arrivée à l’hôpital de Singapour, car le premier médecin qui m’a vue a parlé d’amputation de ma jambe gauche. Finalement, ils ont préféré m’opérer. J’ai été hospitalisée 12 jours à Singapour. Le plus difficile a été d’être loin de ma famille et de mes amis pour vivre cet épreuve : je communiquais souvent avec eux, mais ils étaient de l’autre côté de la planète!

Comment décrirais-tu la qualité des soins que tu as reçus?

J’étais dans un riche hôpital privé qui traite des patients provenant de partout dans le monde. C’était luxueux et extrêmement professionnel. J’avais accès à de cinq à huit infirmières en tout temps. Je suis très chanceuse d’être arrivée à cet endroit. J’avais même huit choix de mets à chacun de mes repas!

Qu’est-ce qui s’est passé, une fois que tu as quitté l’hôpital?

Ma compagnie d’assurances a envoyé un infirmier du Québec pour venir me chercher à Singapour et me raccompagner chez moi. Après sept mois hors du Québec et la mésaventure qui venait de m’arriver, j’étais très soulagée de rentrer! La mésaventure ne s’est pas terminée là, par contre: à mon retour, j’ai été opérée de nouveau deux fois, subi une greffe de peau, été hospitalisée et eu environ trois mois de convalescence.

Quelles leçons as-tu tirées de ton expérience?

Ma réponse est très « plate », mais sincère: c’est de toujours prendre des assurances lorsqu’on part en voyage! Mon hospitalisation à Singapour a coûté plus de 50 000 $ à ma compagnie d’assurances…

Dans un autre ordre d’idées, tu es la cofondatrice de l’organisme à but non lucratif Écotrip. Peux-tu décrire brièvement en quoi consiste l’organisme?

Écotrip fait la promotion d’initiatives positives en développement durable en utilisant les communications web (la vidéo, la photo, le blogue, les médias sociaux). On met de l’avant et on valorise des projets le fun et originaux en environnement, qu’ils soient de citoyens, d’organismes, d’entreprises ou d’institutions publiques.

La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.

4 thoughts on “13 questions sérieuses à Audrée

    1. Stéphane Pageau Post author

      Merci pour ton commentaire, Amandine. Je trouvais intéressant de présenter le témoignage d’une personne qui a vécu une situation hors du commun, situation qui pourrait arriver à tout voyageur. Je crois aussi qu’il est important de prendre une assurance (médicale, à tout le moins) lorsqu’on part en voyage. Enfin, je suis content de voir que tu as découvert Écotrip; l’organisme a été fondé par deux amis, alors si je peux les aider à se faire connaître, j’en serais heureux.

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  1. Lucie

    He ben! Quelle aventure, c’est vraiment pas de chance….J’ose pas imaginer la situation dans laquelle Audrée se serait retrouvée sans assurance :(
    Du coup je vais aller découvrir Ecotrip, je ne connaissais pas!

    Reply
    1. Stéphane Pageau Post author

      On se dit parfois que rien de tel peut nous arriver, que ça relève du cinéma, mais la réalité peut nous rattraper, et plus vite qu’on ne le croit. Mieux vaut alors être prêt, dans la mesure du possible. Merci pour ton commentaire, Lucie!

      Bonne découverte d’Écotrip!

      Reply

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