À la suite de mon billet sur sept villes mal-aimées pleines de surprises, j’ai décidé d’élargir le sujet en le complétant par une réflexion. Donc… ces villes déplaisent pour diverses raisons. Plusieurs sont légitimes; qui pourrait cautionner le tourisme sexuel, encore plus s’il implique des enfants? Mais même si l’on fait abstraction de ces phénomènes révoltants, ces villes suscitent des perceptions négatives chez de nombreux voyageurs. Face à cette réalité, je me pose la question suivante: qu’est-ce qui justifie vraiment la mauvaise réputation d’une ville? Je pense que la ville en question n’a finalement pas autant d’importance qu’on peut le croire, dans cette situation. Selon moi, la principale raison derrière cette mauvaise réputation est le voyageur lui-même.
L’obsession de « l’authentique »
Bien des voyageurs cherchent à sortir des sentiers battus. Un noble but. Mais ce but peut finir par créer des oeillères chez certaines personnes. Elles ne cherchent que le hors-norme, que « l’authentique » et tout ce qui ne correspond pas à cette condition est systématiquement écarté, ridiculisé. C’est une façon simpliste d’évaluer un endroit. Même si elle baigne dans un univers très touristique, une ville peut offrir des expériences enrichissantes. Les villes ne sont pas divisées selon la bête dichotomie « touristique = mauvais » et « non-touristique = bon ». Chaque facette d’un lieu comporte son lot de nuances. La non-reconnaissance de ce constat pourtant majeur dénote soit une grande naïveté, soit un aveuglement volontaire.
La recherche d’une confirmation
Beaucoup de voyageurs peuvent éprouver un réel malaise devant une ville dite « sordide » et vont la fuir. C’est légitime, car il n’y a pas d’obligation pour qui que ce soit à faire ce qu’il ou elle ne souhaite pas faire. Mais j’ai parfois l’impression que certains voyageurs visitent un lieu dans le but inavoué de le détester. Ils y débarquent avec le regard teinté par cet objectif, ils y chercheront ce qui pourra le démontrer et, aveuglés par cette quête, ils en viendront à négliger les éléments qui ne cadrent pas dans leur préjugé. Ils sont tellement désireux de le confirmer qu’ils peuvent ainsi passer à côté de plusieurs aspects plus subtils de l’endroit visité. Et, une fois qu’ils auront recueilli suffisamment de « preuves » pour valider leur hypothèse, ils pourront s’écrier qu’ils avaient raison, que leur vision était juste. Et cette confirmation deviendra ensuite le prétexte pour se poser en juge dudit lieu. C’est comme si ces gens tiraient une forme de jouissance de la haine de certains lieux, comme si cette haine leur conférait une supériorité morale, une autorité qu’ils peuvent ensuite brandir comme un trophée dans toute discussion sur le lieu méprisé: « Patong, c’est de la merde », diront-ils d’un ton péremptoire. Ça revient à se servir des aspects moins lumineux d’un lieu pour se rehausser. Une attitude pour le moins douteuse. Il est d’ailleurs paradoxal que des voyageuses et voyageurs, qui se targuent sans doute d’avoir l’esprit ouvert, peuvent approcher un lieu avec autant d’idées préconçues.
Chercher au-delà de l’évidence
Quand j’entends des voyageuses et voyageurs critiquer un lieu, je me demande quels efforts ils ont déployé pour y vivre des expériences moins populaires, plus particulières. Passer trois jours dans la ville X et ne faire que le circuit typique ne permet pas de s’en construire une opinion étoffée. La surface des choses aura à peine été effleurée, ce qui mènera nécessairement à une opinion superficielle. Opinion qui peut ensuite difficilement être prise au sérieux. En outre, c’est facile de critiquer un endroit, mais c’est plus difficile d’entreprendre des démarches actives pour mieux le cerner.
Aussi, j’estime qu’il est important de s’interroger sur les causes véritables de notre répulsion envers un lieu. Est-ce à cause d’un rapport personnel à un phénomène qui nous trouble? De raisons socio-politico-économico-culturelles qui sous-tendent le phénomène troublant? Une introspection honnête devrait nous fournir des réponses, ou à tout le moins, des débuts de réponse. Une fois ce questionnement complété, on sera plus en mesure de se situer par rapport à ce qui nous dérange. Notre opinion sur le sujet peut alors même changer du tout au tout.
Une piste de solution
J’ai l’impression qu’un aspect pourtant fondamental des lieux dits « sordides » est souvent négligé: des gens vivent là-bas. Ils y mangent, ils y rient, ils y pleurent, ils y baisent, ils y chantent, ils y chient, ils y rêvent. La « vraie vie » s’y déroule, aussi. Les gens y sont vrais, dans la mesure où ils ne jouent pas de rôle. Seulement, leur réalité est liée à un univers touristique; ils n’en sont pas moins sincères dans leur façon de vivre leur vie. Je pense que la plupart des gens ne souhaitent qu’améliorer leurs conditions, mais que parfois, les moyens qu’ils choisissent pour y arriver peuvent nous paraître discutables. Pour eux, la fin justifie les moyens.
À mon avis, si l’on y tient vraiment, la meilleure manière de modifier la situation d’un lieu « sordide » consiste à entraîner un changement dans l’offre, à travers une hausse de la demande. Par exemple, dans le cas célèbre de Vang Vieng, les visiteurs pourraient délaisser le « tubing » et démontrer un intérêt à davantage expérimenter des activités à caractère sportif, comme le kayak. Les différents acteurs du secteur touristique finiront bien par comprendre les bénéfices de s’adapter à cette nouvelle demande. La responsabilité du changement incombe donc en grande partie aux touristes. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, Vang Vieng semble délaisser son côté festif excessif pour adopter un virage vers d’autres façons de se mettre en valeur. Comme quoi des actions sont possibles pour assainir un lieu, tout en respectant la population locale.
Mon expérience
Je n’évite pas les villes mal-aimées. Je les apprécie, même. Elles constituent souvent des lieux propices à des moments uniques, car elles possèdent une ambiance qui donne l’impression que tout – le meilleur comme le pire – est possible. J’aime ce genre d’ambiance chaotique, imprévisible. Évidemment, il s’agit d’une question de personnalité, mais chaque fois que je visite une ville « sordide », j’y vis des expériences et des rencontres étonnantes. Plusieurs billets de ce blogue portent sur ces expériences. Je pense donc que, ultimement, si chaque personne approche un endroit comme bon lui semble, l’ouverture d’esprit, même devant ce qui nous dérange, peut souvent mener à de belles surprises. Il suffit de foncer et de constater la complexité d’un lieu par soi-même, dans le respect de soi et des autres.
Ah l’authentique, bon, j’arrête là, on a eu cette discussion-là trop souvent :) heheh
En effet, on y revient toujours… ha ha!
Parfois il suffit de se perdre dans une ville au détour de chemin, des rencontres ….
Merci encore pour cette découverte de ce café charmant où l’on discute facilement quelques heures de tout et de rien
…je viens de lire un article sur le Laos où le tubing vient d’être interdit , et peut-être un nouveau départ pour un tourisme plus vert, pourquoi pas de l’escalade, de l’exploration, du kayak, ……mais qu’en adviendra t il si on décidait de vouloir y faire du tourisme de luxe, en construisant des infrastructures pour voyageurs privilégies, ? Un revers ou. Pas….en espérant que celui en bas de l’échelle puisse aussi remplir un peu son escarcelle …..
Bon voyage à tous
@+
J’aime bien me perdre dans une ville… l’aventure est alors au rendez-vous. En effet, la situation est en train de changer à Vang Vieng. J’espère que le tourisme de luxe ne s’y développera pas, ce serait alors tomber dans l’autre extrême. Un tourisme vert serait parfait pour cette superbe région.
Merci à Gilles et toi pour les bons moments. Ce fut un plaisir de vous rencontrer. Si je passe par l’Alsace, j’irai vous dire bonjour. Au plaisir,
Stéphane