13 questions sérieuses à Claudine

Claudine et un bébé dans le village de N'Gomo, au Gabon (photo prise par Natacha Moffatt)

Claudine et un bébé dans le village de N’Gomo, au Gabon (photo prise par Natacha Moffatt)

Les voyages peuvent avoir des effets importants sur la psychologie d’une personne, en raison de l’intensité des expériences alors vécues. Pour approfondir cette réalité, j’ai demandé à mon amie Claudine Barrette, psychologue M.Ps, de répondre à mes questions. Spécialisée en post-traumatique, elle travaille avec des approches alternatives comme l’hypnose clinique, l’arthérapie et la thérapie par le jeu (pour les enfants). Et, en plus, elle est une globe-trotteuse. Elle était donc la personne idéale pour une entrevue sur des sujets comme le choc du retour, la peur en voyage et bien d’autres.

Selon toi, qu’est-ce qui explique la fascination exercée par le voyage sur beaucoup de gens?

Je crois que les gens sont attirés par le fait de rencontrer des modes de vie totalement différents ou d’être transportés par la beauté d’un lieu. Mais je crois aussi qu’il est intéressant de se confronter à soi-même, de voir comment l’on réagit dans un environnement complètement différent.

Qu’est-ce qui peut pousser des gens à se lancer dans des aventures de plus en plus extrêmes, comme celle de Mylène Paquette, qui a traversé l’océan Atlantique à la rame?

C’est addictif le voyage. D’abord, le voyage nous place face à nous-même. Il nous apprend à sortir de notre zone de confort et à dépasser nos limites. Ta perspective de toi-même change. Les barrières tombent. Il y a un fort sentiment de liberté qui émerge. Je pense que lorsque tu vis ce sentiment, tu veux le revivre. Donc, tu repousses tes limites plus loin encore. Il y a les limites physiques certes mais surtout celles psychologiques. Et même dans les exploits physiques, il faut que le mental suive.

Au plan émotionnel, quelles sont les phases d’un voyage?

La première phase est une phase de découverte souvent appelée la lune de miel. C’est une phase d’émerveillement. Au départ, la personne est en contact superficiel avec la culture qui l’accueille. Et au contraire, elle est très connectée aux raisons qui l’ont amenée à partir. Elle peut donc librement idéaliser ce qui se passe.

C’est ensuite le retour sur terre: le choc culturel. L’individu se sent souvent désorienté. Il doute de sa capacité à s’adapter. Il peut devenir facilement irritable. Ses capacités d’adaptation sont très sollicitées et il se met à douter de lui. Certaines personnes tendent à s’isoler. On parle aussi de cette phase comme celle du mal du pays.

Par la suite, vient la phase d’adaptation. L’individu cherche à comprendre la nouvelle culture dans laquelle il vit. Il accepte les changements. C’est par cette compréhension qu’il arrive à modifier ses comportements afin de s’adapter à la culture dans laquelle il évolue.

Vient finalement la phase d’attachement. L’individu est adapté à son nouvel environnement. Il a confiance en ses capacités ce qui lui permet de s’ouvrir à cette nouvelle culture.

Certains évènements intenses d’un voyage, comme un vol ou une agression armée, peuvent se révéler traumatiques, d’autant plus qu’ils surviennent dans un contexte qui nous est étranger, dans des circonstances qui ne nous sont pas familières. Quels trucs suggères-tu pour gérer les chocs vécus au cours d’un voyage?

Ça dépend vraiment du choc. Mais je crois que lorsqu’on voyage il ne faut pas hésiter à modifier son rythme. Si ça devient difficile il faut ralentir et même s’arrêter. J’ai rencontré à plusieurs reprises des voyageurs qui me semblaient vivre un important déséquilibre sur le plan émotif.

Je visualise souvent une batterie avec mon niveau d’énergie et je m’oblige à voir où se niveau se situe. Nous pouvons être facilement happés par tout ce qu’il y a à faire. Mais il faut écouter son rythme. Et ce d’autant plus si vous vivez quelque chose de difficile. Dans le cas d’un trauma, il faut trouver une façon de l’intégrer. Il peut être utile de l’exprimer. L’écriture est une possibilité intéressante. Toutefois, le contact humain est important. C’est bien d’avoir une personne ou plus à qui on peut se raconter. Souvent, beaucoup de gens cachent des choses à leur entourage afin de les protéger et ne pas les inquiéter. Mais il faut trouver une façon de l’exprimer parce que le premier mois suivant un trauma est très significatif dans la façon dont il va être intégré. Et surtout, n’hésitez pas à contacter un professionnel. Il est possible de faire des entrevues par Skype ou même d’échanger des courriels. J’ai déjà utilisé ce genre de système et ça m’a beaucoup aidé. Le fait de pouvoir écrire ce que je vivais et que quelqu’un me réponde m’a aidé à avancer.

Quelle rôle la peur peut-elle jouer dans un voyage?

La peur est le sentiment qui nous indique un danger. Elle est essentielle. Il est toutefois important de faire la différence entre un sentiment de peur justifié et les craintes face à l’incertitude. Il est important de lancer des défis oui. Il faut toutefois s’assurer de sa sécurité physique et psychologique.

Qu’est-ce que le choc du retour?

Le choc du retour fait référence à une difficulté à revenir à la vie d’avant. Il est souvent lié à un fort sentiment de nostalgie.

Pourquoi le choc du retour est-il une étape difficile pour bien des voyageuses et voyageurs?

La réintégration dans le pays d’origine nécessite une phase d’adaptation. La plupart des gens présument que ça se passera facilement puisque c’est une culture qu’ils connaissent. Mais ce n’est pas facile pour tout le monde. Il semble que le retour soit difficile pour environ la moitié des personnes qui reviennent d’un long voyage.

Dans mon travail, il m’arrive d’accompagner des gens qui reviennent de l’étranger et je remarque que plusieurs aspects influencent l’intensité du choc du retour. Certains correspondent à l’expérience vécue: attachement à la culture découverte, expériences positives, rencontres etc. D’autres sont liés à la vie initiale. Par exemple, certaines personnes partent pour fuir des conflits, problèmes ou un sentiment de vide. Ce qui n’est pas résolu nous rattrapent à notre retour.

Certaines personnes décrivent aussi un sentiment que le quotidien est simplement devenu terne. En voyage, chaque jour est différent. On fait plein de découvertes et subitement tu reviens dans un environnement que tu connais trop bien. Et en plus, tu vis le décalage avec ton entourage qui lui n’est pas allé en voyage.

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Comment une personne peut-elle se remettre de ce choc?

Je pense que c’est important de se renseigner, de lire là-dessus afin de comprendre et de normaliser ce qui se passe. Il faut se donner le temps de se réadapter. Il faut recréer des liens avec notre culture d’origine. J’appelle ça refaire ses racines.

Comme le choc rend nostalgique c’est aussi agréable de trouver des manières de continuer à être en contact avec la culture qui nous manque. C’est pourquoi j’achète beaucoup de livre en voyage. Je les lis à mon retour. Ça m’aide à atterrir.

Il peut aussi être intéressant de trouver des façons de parler de ce que nous avons traversé. Par exemple, lors de mon premier séjour en Afrique, j’ai fait une présentation au travail sur l’heure du dîner. Ça m’a aidé à faire le lien. Mes collègues savaient un peu plus ce que j’avais traversé.

Pendant près de deux ans, tu as vécu en Inde, un pays réputé pour générer des chocs chez les voyageuses et voyageurs. Est-ce qu’avoir des connaissances théoriques en psychologie t’a permis de mieux gérer tes propres chocs? Justifie ta réponse.

Je pense que oui. Pour moi, il était rassurant de pouvoir comprendre mes réactions. L’Inde c’est tellement intense. J’ai tenté de bien me préparer aussi avant. Je crois aussi qu’il est utile de lire sur les particularités du pays que l’on visite. C’est tellement différent d’un endroit à un autre. J’ai pris conscience de plein de trucs. D’ailleurs il y a un livre qui m’a beaucoup aidé qui s’intitule Les fous de l’Inde et qui a été écrit par Régis Airault, un psychiatre français qui a travaillé en Inde. Je l’ai lu là-bas et relu à mon retour.

Qu’est-ce que cette expérience d’expatriation t’a apporté, tant au plan professionnel que personnel?

J’ai travaillé dans 3 pays différents. Au plan professionnel j’ai trouvé ça incroyable. Le rythme de travail et le processus de création sont différents d’un pays à l’autre. Maintenant, je vois plus les subtilités de chaque personne. Je ne prends plus rien pour acquis. C’est comme si maintenant chaque humain est un ensemble de petits morceaux que j’apprends à découvrir un à un.

Sur le plan personnel, je suis beaucoup plus consciente de mes forces. J’ai eu tellement de difficultés. Je me suis écroulée plusieurs fois. J’ai douté. En fait, psychologiquement, je suis allée dans des endroits à l’intérieur de moi que je ne soupçonnais pas. Parfois, je me suis amèrement déçue. Heureusement, je me suis souvent agréablement surprise.

Quelle est ta vision de l’Inde, après y avoir vécu?

Il y a un texte sur l’Inde que j’aurais aimé avoir écrit. C’est une journaliste australienne qui décrit l’Inde comme une relation passionnée. Parfois, tu te dis qu’il faut que tu quittes parce que tu n’en peux plus. Tu es tellement épuisé. Mais tu restes parce que tu as l’impression que tu vis aussi les plus beaux moments de ta vie. En Inde, mes émotions changeaient constamment. C’est un pays de fous mais il me manque tous les jours depuis que je l’ai quitté.

Que dirais-tu à une personne qui hésite à visiter l’Inde?

Il y a selon moins deux aspects à explorer. D’abord, il y a les craintes. Et c’est justifié d’en avoir. À cause de son intensité, c’est un pays envahissant et beaucoup de gens ne s’y sentent pas bien. Toutefois, si le désir d’y aller est là, je ne crois pas qu’il y ait rien d’insurmontable. Et pour moi, l’expérience indienne est tellement unique.

Aussi, je demanderais à cette personne ce qu’elle désire de son expérience indienne. C’est un vaste pays. Je comprends qu’on l’appelle le sous-continent indien. Il y a de nombreuses possibilités. Mon frère est venu me visiter deux fois et il a vécu deux expériences complètement différentes. Le problème, c’est que les gens font ce qu’on appelle le « triangle d’Or »: Delhi, Agra et Jaipur. Et ces endroits sont insupportables pour les touristes.

Et finalement, en considérant ce que cette personne m’a dit je l’aiderais à se préparer adéquatement.

Quels sont tes projets de voyage?

Je viens de revenir il y a 2 semaines. Je suis donc un peu rassasiée. Mais bon, j’ai toujours 2 ou 3 plans en tête.

Je veux retourner en Asie du Sud-Est dans un an. J’aimerais faire un cour de massage thaïlandais. J’irais aussi probablement aux Philippines et en Indonésie.

J’aimerais explorer le sud de l’Afrique, la Namibie et l’Afrique du Sud. J’adore l’Afrique pour la diversité de ses paysages et sa musique.

J’ai aussi des amis en Amérique du Sud, au Chili et en Argentine, que je prévois visiter.

Et dans quelques années, je voudrais refaire un projet comme celui en Inde et repartir pour au moins un an.

La suite de cette entrevue sera publiée ce jeudi.

4 thoughts on “13 questions sérieuses à Claudine

  1. Laurent

    Je ne sais pas trop si lire le bouquin de Régis Airault avant d’aller en Inde soit une bonne option pour tout le monde. Mieux vaut partir informé, c’est vrai, mais ça peut-être assez flippant aussi de lire ce bouquin en fait.
    Je l’ai lu pour ma part au retour d’un séjour de 4 mois en Inde. J’ai trouvé ça instructif, mais sincèrement, je ne sais pas trop si j’aurais posé les pieds dans ce pays si j’avais lu le livre avant. J’ai posé les pieds pour la première fois en Inde alors que voyager ne faisait pas spécialement partie de mon pédigrée. Le choc culturel fut assez rude, mais la fascination, le besoin de comprendre furent plus grands que le choc culturel. Et ce pays de fous est devenu une de mes addictions !
    Ravi en tout cas d’avoir un avis “éclairé” sur le pourquoi des addictions au voyage et à l’Inde. Une bien belle entrevue que voilà :-)

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    1. Stéphane Pageau Post author

      Merci pour ton commentaire, Laurent! Avec vos avis différents, les lectrices et lecteurs pourront décider par eux-mêmes s’ils devraient lire ce livre ou non avant d’aller en Inde. Cependant, qu’ils le fassent ou non, ils auront un choc là-bas, il n’y a pas de doute là-dessus… ha ha! Content de voir que tu as apprécié l’entrevue, ça faisait longtemps que je voulais aborder ces thèmes et Claudine était la personne idéale pour en parler.

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