Avant d’aller en Argentine, à l’automne 2015, j’avais une vague idée de ce qu’était le maté. Je m’étais lié d’amitié avec des Argentin-es en Équateur, en 2013, et ils en avaient consommé devant moi. Ils m’y avaient même fait goûter. J’avais aimé. Ainsi, quand j’ai décidé d’aller en Argentine, je savais que j’allais revoir ces ami-es. Je savais aussi que je voulais en apprendre plus sur le maté et tout le rituel qui l’entoure. Et c’est que j’ai fait.
Un bref survol
En gros, le maté (en espagnol, « mate », et non « maté », qui signifie « Je tuai »; « chimarrão », en portugais) est une infusion qui ressemble à celle que l’on obtient avec du thé, mais l’herbe utilisée, la yerba maté, appartient plutôt au genre Ilex (comme les houx). Elle est originaire de la région connue aujourd’hui sous le nom de Paraguay et elle était consommée par les Guaranis. Contenant notamment de la caféine, elle provoque plusieurs effets sur le métabolisme (et la santé en général), dont la stimulation du système nerveux central. Elle aurait en outre des propriétés antioxydantes et diurétiques. Cependant, certaines études laissent entendre que la consommation de maté pourrait avoir des effets cancérigènes à long terme (en raison de la température de l’infusion). Par conséquent, comme pour les Pizza Pochettes ou les chansons de Normand L’Amour, la consommation modérée semble l’habitude à adopter.
Le maté est consommé surtout en Argentine, en Uruguay, dans le sud du Brésil, au Paraguay, au Chili, au Liban et en Syrie. La Syrie était le plus grand importateur de yerba maté, mais la situation a sans doute changé en raison du conflit qui déchire le pays depuis 2011. Au Liban et en Syrie, la tradition du maté a été rapportée par des Druzes qui, après avoir vécu en Amérique du Sud pendant des années, sont revenus dans leur pays d’origine.
Le maté est davantage associé à l’Argentine, à l’Uruguay et au Paraguay. La loi argentine qualifie même le maté « d’infusion nationale » (« infusión nacional »). Il est très commun de voir dans plusieurs villes de ces pays des gens se promener sur les trottoirs avec un thermos sous le bras et un maté en main ou un étui spécial contenant le nécessaire pour préparer le maté. Ce scénario m’a particulièrement frappé à Montevideo et à Córdoba.
Les éléments de base du maté
Pour boire du maté, il faut au moins quatre éléments:
– Le maté (parfois appelé la calebasse, en français): il s’agit du récipient dans lequel on boit l’infusion. Il est disponible en une grande variété de styles et de matériaux (bois, céramique, plastique et métal, surtout). On m’a conseillé un maté en bois, pour un goût plus « naturel ». J’ai payé mon maté 60 pesos argentins (environ 5,52 $ CAN, au taux de change actuel) à Cacheuta, en Argentine;
– La bombilla (la paille): cette paille avec un filtre sert à boire l’infusion. La bombilla, traditionnellement en argent, est elle aussi disponible dans une grande variété de styles. J’en ai deux, car je ne pouvais me résoudre à n’en choisir qu’une seule; je les ai payées 25 et 35 pesos argentins, respectivement, dans un magasin de souvenirs de Mendoza (soit environ 2,30 $ CAN et 3,22 $ CAN, respectivement, au taux de change actuel);
– La yerba maté (l’herbe; j’utiliserai dorénavant seulement le mot « yerba », dans le but d’alléger la lecture): l’herbe à infuser. De nombreuses marques et variantes sont offertes, afin de satisfaire tous les goûts. J’ai rapporté de Mendoza le sac sur la photo suivante. Je l’ai payé environ 30 pesos argentins, soit environ 2,76 $ CAN au taux actuel, pour 500 grammes. Ce sac m’a valu un passage désagréable aux douanes de l’aéroport de Miami. Le douanier ne connaissait pas le maté et, en dépit de mes explications, il a jugé pertinent de me diriger vers la section des inspections sanitaires. Après quelques minutes de discussions avec les agents de cette section, j’ai pu repartir avec mon sac. À mon retour au Canada? Aucun problème;
– De l’eau chaude, et non bouillante: l’eau bouillante « cuit » l’herbe trop vite. La température idéale se situerait entre 75 et 85 degrés Celsius. L’eau doit approcher du point d’ébullition, elle doit frémir, mais elle ne doit pas buller. On m’a conseillé de remarquer quand l’eau change de teinte; elle est alors à la bonne température. Je ne publierai pas de photo d’eau en train d’être chauffée, mais si vous en voulez vraiment une (pour votre collection?), écrivez-moi un message privé. Je vous en enverrai une;
– On pourrait rajouter un cinquième élément: un thermos. Certes, on peut consommer du maté sans thermos (si on possède une bouilloire, par exemple), mais le thermos s’avère utile. Il permet bien sûr de traîner de l’eau partout et d’en conserver la chaleur. D’où la popularité du thermos dans les rues, les parcs, les transports en commun, etc. Par ailleurs, en Argentine, j’ai vu que beaucoup de commerces donnaient ou vendaient de l’eau chaude pour remplir les fameux thermos. J’imagine que c’est aussi le cas dans les autres pays où le maté est consommé.
Les étapes de la préparation du maté
Avant d’utiliser un maté pour la première fois, il faut le « curer » (de l’espagnol « curar »); autrement dit, on le prépare en vue des infusions, tout en le protégeant de l’humidité, des champignons et des fissures (les champignons peuvent être éliminés de diverses façons, soit dit en passant). L’étape du curage ne concerne que les matés d’origine végétale; elle n’est pas nécessaire pour les matés en métal, en vitre, en céramique, en plastique et autres. Il existe plusieurs méthodes pour curer un maté et ce sujet pourrait même faire l’objet de débats; je vais donc décrire ici celle que mes ami-es m’ont recommandée.
Curer le maté
Cette méthode consiste à verser de l’eau bouillante dans le maté, de le laisser reposer quelques heures, avant de le vider, une fois l’eau refroidie. On le sèche ensuite avec un papier absorbant. On répète cette opération à quelques reprises au cours des 2 ou 3 jours suivants. Puis, on le remplit avec de l’eau bouillante et de la yerba et on laisse le tout macérer pendant au moins 24 heures. On vide enfin le maté de sa yerba et on le nettoie. Les imperfections de la paroi intérieure devraient alors être suffisamment atténuées pour permettre une première utilisation. Mais…
Cela dépend en fait du type d’infusion que l’on préfère: amère (« amargo »; sans sucre) ou sucrée (« dulce »). Si l’on veut des infusions sucrées, on doit enduire l’intérieur du maté d’une substance huileuse, sirupeuse ou graisseuse. Différentes substances peuvent remplir cet objectif: beurre, huile, sucre et morceau de braise (la braise caramélise le sucre, lorsque l’on secoue le maté), miel, etc. Elles ajouteront le pep recherché. Par contre, après quelques utilisations, ce pep aura vraisemblablement disparu. Enfin. On m’a incité à sucrer mon maté, alors j’ai fait caraméliser du sirop d’érable, avant de le verser dans le récipient. Ma touche québécoise. Par la suite, on laisse reposer le maté quelques heures et là, il sera fin prêt.
L’infusion
Une fois le maté curé, il n’attend que les infusions. Le processus d’infusion, du moins celui que j’ai appris, se déroule ainsi: il faut d’abord remplir le maté de yerba aux trois quarts, au maximum, car sinon, quand on y versera l’eau chaude, l’infusion débordera. Aussi, avant d’ajouter l’eau, il faut poser sa main sur l’ouverture du maté et le secouer, afin d’enlever de la yerba les particules plus fines et plus poudreuses; elles se déposent sur la main. Celles qui restent dans le maté sont envoyées sur le dessus. De plus, cette étape permet aux particules plus importantes de se retrouver dans le fond et d’entourer le filtre de la bombilla, créant par le fait même un autre niveau de filtration. Ensuite, il faut tasser la yerba de manière à former un angle d’environ 45 degrés; on verse alors l’eau chaude dans cet angle, jusqu’au rebord du maté.
J’ai tendance à insérer la bombilla après avoir versé l’eau chaude, mais bien franchement, je ne pense pas que le moment de son insertion fasse une différence notable. Toutefois, d’après mes lectures, si l’on insère la bombilla dans la yerba sèche, il faudrait, avant l’ajout d’eau chaude, mettre un peu d’eau froide dans le maté, afin d’éviter la surcuisson de la yerba et de maintenir son angle de 45 degrés en place (quitte à le rétablir avec la bombilla). Je n’ai cependant jamais vu personne faire cela. Et je ne comprends pas l’intérêt de procéder de la sorte: après tout, si l’eau chaude est à la bonne température… à quoi ça sert de mettre de l’eau froide? Quoi qu’il en soit, une fois l’eau chaude versée, on laisse infuser la mixture quelques instants. Et, enfin, on boit.
Ceci dit, chaque personne peut avoir sa propre technique. Inutile donc de m’écrire pour me dire que ce n’est pas comme ça que l’on prépare le maté, que votre technique de prédilection est plus « authentique », etc. Ça n’a pas d’importance, au fond. L’important, c’est le plaisir de savourer un bon maté.
Sucre ou pas?
À noter que l’on peut ajouter du sucre dans le maté; c’est, vous l’aurez deviné, une question de goût. Mes ami-es de Mendoza en mettaient un peu dans leur maté, en même temps que la yerba; mes ami-es de Córdoba n’en mettaient pas du tout. Il y aurait apparemment des « débats » sur la légitimité du sucre dans le maté, mais en toute franchise, on s’en torche. Conversation aussi inutile que celle sur « lait ou crème dans le café? ». Ma suggestion? Essayez les deux méthodes et choisissez celle que vous préférez. C’est tout. Pour ma part, je préfère « amargo ».
Précisions sur le rituel
En espagnol, le verbe qui définit la préparation du maté est « cebar » (comme dans « cebar mate »); la personne qui prépare le maté se nomme « cebador » (pour un homme) ou « cebadora » (pour une femme). Elle s’occupe de toutes les étapes du processus, qu’elle soit seule (cela va de soi, je sais) ou en groupe. Elle boit en premier, puis passe le maté aux gens autour d’elle (quand groupe il y a). Je ne me souviens pas s’il y a un sens de rotation spécifique; je n’ai jamais reçu d’instructions à cet égard. Quand j’étais le cebador, je passais le maté d’abord à la personne la plus proche de moi. On ne m’a jamais rabroué, alors j’en conclus que c’était approprié. Une fois qu’une personne a terminé de boire l’infusion, elle doit redonner le maté au cebador, qui rajoute alors de l’eau chaude, de la yerba ou les deux, selon le cas. Quand une personne ne veut plus boire de maté, elle remercie le cebador, au moment de rendre le maté; il ne faut donc pas dire « merci » avant que l’on soit rassasié-e. Comme quoi, pour une fois, un excès de politesse peut produire l’effet inverse à celui recherché.
Il y a plus
Il existe aussi du mate cocido, soit du maté en sachets, comme pour le thé. Les deux se préparent de la même façon. Le goût de ce maté serait plus doux, mais je ne l’ai pas essayé. Il est disponible en plusieurs saveurs, comme citron et vanille. J’ai eu le sentiment que cette option était moins appréciée, mais peut-être il découle du fait que mes ami-es préféraient le maté traditionnel.
Il y a même eu une Journée national du maté en Argentine (« Día Nacional del Mate »), le 30 novembre 2015. Ça ne devrait surprendre personne. Par contre, ce qui peut surprendre, c’est qu’il ne s’agissait que de la première édition de l’évènement…
Il y aurait évidemment beaucoup plus à écrire sur les différents aspects du maté (par exemple, sur le Tereré, sur le « mate de leche », etc.). Ce billet se veut une simple introduction à ce vaste univers, via mon expérience personnelle. Alors n’hésitez pas à en apprendre davantage sur celui-ci.
Quelques adresses et articles
La yerba maté est généralement disponible dans les commerces qui vendent des produits latino-américains. Certains commerces proposent aussi des matés et des bombillas. Quelques bonnes adresses à Montréal:
– Librairie Española (yerba, matés et bombillas);
– Boucherie Mundial (marché Jean-Talon; yerba);
– Marché Afrique Saint-Denis (intersection Jean-Talon Est/Saint-Denis; yerba);
Je vous suggère en terminant quelques articles sur le maté, qui illustrent bien la diversité des approches tant dans le curage du maté que dans la préparation des infusions: en français (1, 2, 3) et en espagnol (1, 2, 3). Enfin, Youtube constitue une mine d’or pour celles et ceux qui souhaiteraient obtenir plus d’informations sur le maté (ou juste voir comment effectuer les différentes étapes). Bonne lecture, bon visionnement, mais surtout, bon maté.
Super !! Merci beaucoup pour toutes ces précisions ! Connaitrais tu un bar/resto argentin sympa à Montréal?
Merci pour ton commentaire, Marie! Je ne sors pas souvent dans les bars et les restos, mais j’ai vu que le Pachamama a ouvert en début d’année, dans le Village. C’est un « Apportez votre vin », ça semble sympathique. Tiens-moi au courant si tu y vas…
Bonsoir,
J’aimerais savoir où est ce que tu as trouvé ton thermos à maté?
Merci :)
Woody
Bonjour Woody,
J’ai trouvé mon thermos au magasin L’Española, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal:
https://www.lespanola.com/productos-de-argentina?page=2
Bon maté!
Stéphane