Une histoire aussi riche que celle de Boukhara laisse des traces. Nombre de ces traces demeurent encore visibles aujourd’hui dans les rues de la ville. Ce 2e billet sur Boukhara (le 1er ici) ne prétend pas dresser un inventaire exhaustif de toutes ces attractions (près de 140 sont inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO), mais il en présentera quelques-unes qui m’ont le plus marqué. À noter que tous les prix mentionnés sont changés au taux officiel, et non au taux du marché noir.
Mausolée
Le mausolée des Samanides est le plus vieil édifice de la ville; il a été complété en 905. Situé dans le parc des Samanides (duh), il serait aussi le premier exemple connu de « mausolée-koubba ». En effet, sa forme cubique rappelle celle de la Kaaba de La Mecque, en Arabie Saoudite. Le mausolée attire les touristes curieux, les classes d’écoliers tapageurs et les vendeuses de cartes postales (j’ai d’ailleurs fait le plein). Malgré sa petite taille, le mausolée rocke. L’intérieur dégage l’ambiance solennelle propre à un monument funéraire, quand on peut y rester seul pendant quelques secondes. 4000 soms (environ 1,61 $ CAN) pour entrer.
Médersas
Boukhara aurait compté, à une certaine époque, plus de 100 médersas (écoles coraniques). Or la plupart ne remplissent plus cette fonction aujourd’hui, elles accueillent plutôt des commerçants. Des exceptions subsistent toutefois. Ainsi, la médersa Mir-i Arab fait partie du complexe Po-i-Kalon (« piedestal du Très-Haut »), le principal complexe architectural de la ville, avec la mosquée Kalon et le minaret Kalon. La médersa est toujours active, elle reçoit toujours des élèves. Par conséquent, elle est interdite aux visiteurs. Le soir, sa façade est éclairée et les résultats sont enchanteurs comme un sourire de Michel Louvain.
La médersa d’Ulugh Beg, qui fait face à la médersa Abdoullaziz Khan, est l’une des plus vieilles en Asie centrale; elle a été érigée entre 1417 et 1420. Prince puis sultan, Ulugh Bek (de son vrai nom, Muhammad Tāraghay. Né le 22 mars 1394, à Sultaniya, en Iran; mort à Samarcande, le 27 octobre 1449) était le petit-fils de Tamerlan, mais contrairement à son sanguinaire aïeul, il était davantage porté vers la science et les arts que vers la guerre. Ulugh Beg fut un astronome majeur, pour son époque. Il a créé et dirigé la publication des Tables sultaniennes, un catalogue astronomique dont l’influence a modifié l’histoire de la discipline. Ceci dit, la tranquillité régnait à la médersa, quand j’y suis passé. À voir, pour son côté historique.
La médersa Abdoullaziz Khan abrite aujourd’hui des boutiques de souvenirs, de tissus et de tapis. Elle a été bâtie par son fondateur, Abdoullaziz Khan (1614-1683), entre 1652 et 1654. La décoration extérieure de la médersa n’est toujours pas complétée, car le khan a été détrôné avant la fin des travaux. L’architecte a par conséquent dû mettre fin au chantier. Le très coloré portail, ou pishtak, constitue une réalisation hors pair de l’art architectural d’Asie centrale.
Le Char Minor, qui orne la couverture de la plus récente édition anglaise du Lonely Planet sur l’Asie centrale (2014), m’a fasciné. Construite en 1807 par un riche marchand turkmène, la médersa se cache au détour de plusieurs ruelles, dans un quartier résidentiel facile d’accès depuis le centre historique. Je cherchais sans succès les quatre tours caractéristiques de la médersa afin de m’orienter quand, voyant mon air dépité, une dame m’a indiqué du doigt la bonne direction. J’ai toujours l’air du vrai touriste. Merci madame. En chemin, j’ai joué au soccer avec des enfants (bon, OK, je ne leur ai que renvoyé le ballon). Puis, les tours apparurent dans le ciel bleu. Comme les pattes d’une chaise inversée dans les rayons du soleil couchant. Une vision inoubliable. Un couple de mariés se prêtaient alors à une séance photo. Je l’ai regardé. J’ai rêvé de faire la paix avec l’amour en me rappelant des paroles de chansons de Dany Bédar. C’t’une farce. J’ai cependant mitraillé la médersa avec ma caméra. J’y suis même retourné le lendemain à la même heure pour continuer mon délire photographique. Oui, le Char Minor m’a ému. Par contre, j’ai été étonné par la placidité des commerçants juste en face de l’édifice. Personne ne m’a approché. Eh ben. Et question quiz pour deux morceaux de robot: qu’est-ce que l’on trouve à l’intérieur du Char Minor? Des commerçants, bien sûr.
La médersa Koukeldach, la plus grande de Boukhara (80 mètres sur 60 mètres, avec 160 cellules), a été érigée en 1568 par, tenez-vous bien, Koulbaba Koukeldach. Un musée consacré à l’écrivain Sadriddin Aini y a aujourd’hui installé ses pénates. Il s’avère aussi possible de visiter d’anciennes cellules d’élèves. Captivante incursion dans un univers d’ordinaire peu accessible. Conclusion de ma visite: je ne crois pas que je serais doué pour la vie monastique de ce genre d’école. Mais à seulement 1500 soms l’entrée (environ 0,60 $ CAN), je ne peux que recommander cette activité.
Les médersas Abdullah Khan et Madar-i Khan ont été bâties l’une en face de l’autre, près du parc des Samanides, par le khan chaybanide Abdullah. Plus petite des deux, la médersa Madar-i Khan (1566-1567) a été érigée en l’honneur de la mère d’Abdullah. La médersa Abdullah, construite vingt ans plus tard, présente une architecture et une décoration plus raffinées que sa consoeur. Détail particulier: l’orientation des édifices suit les points cardinaux, et non pas la direction de La Mecque.
La médersa Navir Divan-Begui (1622) fut construite par… Nadir Divan-Begui. Que pensiez-vous? Elle devait d’abord servir de caravansérail, mais, lors de son inauguration, l’émir l’a désignée comme « médersa », alors… on ne peut rien contre la parole de l’émir, de toute évidence. Aujourd’hui, on peut y acheter toutes sortes de bidules, dont de jolis foulards en soie. Du côté est du Lyab-i Hauz.
Minarets
Ah le minaret Kalon… là on parle. Oeuvre massive, reliée à la mosquée du même nom, elle domine tout le centre de Boukhara du haut de ses 48 mètres. Le minaret actuel date de 1127, mais sa 1ere version remonte à 919. À l’époque, on jetait les méchants à partir de son sommet pour les exécuter. Pour les amateurs d’histoire, celle-là. Dans un autre ordre d’idées, j’ai remarqué que des mendiants circulaient dans le secteur. Une rareté, selon mon expérience de l’Ouzbékistan.
J’ai vu d’autres minarets: celui de Xoja Kalon, adjacent à sa mosquée, et celui devant la mosquée Bolo Haouz, dans le parc Régistan. Tous deux n’arrivent pas à la cheville de Kalon, côté taille, mais ils possèdent le même design.
Mosquées
La mosquée Kalon (1514) se trouve juste en face de la médersa Mir-i-Arab, dans le complexe Po-i-Kalon. La 1ere version de la mosquée remonte à 795, mais elle a subi des dommages, au fil du temps. La version actuelle date de 1514. La superficie de sa cour intérieure devrait provoquer des fantasmes chez les esprits plus sportifs. Pour les autres, disons simplement que la cour est grande en tabaslack. La mosquée constitue l’une des attractions principales de Boukhara. Son dôme et son minaret servent aussi de points de repère. Une visite s’impose.
Fierté de 1712, la mosquée Bolo Haouz domine le Régistan, le populaire parc en face de la citadelle Ark. La mosquée accepte les visiteurs non-musulmans. La prise de photos y est même acceptée, en échange d’une donation. On a bien pris soin de me le mentionner. J’ai donné. J’ai photographié comme un paparazzi qui tombe par hasard sur un membre de la famille Kardashian. Quelques mendiants dans le parc.
La ville compte d’autres mosquées, mais je ne les ai pas toutes visitées. C’est le même principe qui fait que l’on n’entre pas dans toutes les églises catholiques en Italie ou dans tous les temples bouddhistes en Thaïlande. La redondance entraîne une « fatigue religieuse ». Mieux vaut être sélectif, afin de mieux apprécier ce que l’on voit.
Musées
Signe d’un changement de priorité, le Musée des tapis occupe les locaux de l’ancienne mosquée Magok-i Attari, elle-même construite sur les vestiges d’un temple zoroastrien. La mosquée, jadis la plus ancienne de la ville, avait été détruite par un incendie en 937. Il en coûte 3000 soms pour l’entrée (environ 1,20 $ CAN) et 3000 soms pour pouvoir prendre des photos. Musée de taille lilliputienne, on l’explore en 2 minutes 37 secondes, à moins de se concentrer sur les motifs de chaque tapis. Original, en tout cas. J’y ai en outre acheté un livre d’histoires humoristiques ouzbèques traduites en français; j’espère que c’est au moins aussi drôle que l’humour « raffiné » de Roméo Pérusse.
Le Photo Gallery présente des photos de la vie quotidienne ouzbèque. Riche idée. J’y ai été, mais il n’y avait personne pour m’y accueillir et… m’éclairer. Les lumières y étaient éteintes, pour une raison inconnue. En plus, je n’ai pas trouvé l’interrupteur, malgré mes recherches. Décevant. J’ai apprécié ce que j’ai entrevu à la lueur des rares rayons de soleil infiltrés dans la galerie. Entrée gratuite. Ouverture: 9 h à 19 h.
Restaurants
À la surprise de personne, les restaurants du centre s’adressent aux touristes. Et les prix sont ajustés en conséquence. Le secteur autour du Lab-i Hauz en regroupe une bonne quantité, mais les bazars comptent aussi plusieurs endroits pour se sustenter (et à moindre prix). Malgré tout, il demeure possible de tomber sur des établissements agréables. Ainsi, le Silk Road Tea House serait en activité depuis les années… 1400. La même famille s’en occuperait depuis cette époque. Ça semble énorme. En tout cas, c’est plus impressionnant que le 1922 du bar Chez Baptiste, sur Mont-Royal Est. Bref. Excellents thés, dont celui au safran. Sucreries incluses et refill gratuit. Le tout pour 20 000 soms (environ 8,02 $ CAN) bien investis.
Le restaurant-théâtre Adras ne présente des pièces qu’en haute saison; je n’ai donc pu assister à un exemple de la dramaturgie ouzbèque/russe/centralasiatique/autre. Je ne suis pas un grand fan de théâtre, mais j’aurais été curieux de voir ce qui fait vibrer les gens du coin. Je n’ai pas non plus essayé la nourriture du restaurant, je n’y ai été que pour l’Art. Je n’y ai donc bu qu’une bière trop chère, à 12 000 soms (environ 4,81 $ CAN). J’avais auparavant mangé au Chinar, du côté nord du Lab-i Hauz. Je n’ai pas de photo de l’endroit. On m’a envoyé dans une pièce pour les personnes qui mangent seules (lire: que des hommes). Il était d’ailleurs permis de fumer dans cette pièce, à mon grand déplaisir. Si mes souvenirs sont bons, j’avais payé 29 000 soms (environ 11,58 $ CAN) pour le repas et la bière.
Le Pub offre, outre son nom très cliché, un choix de plats et de bières. J’ai essayé le « jiz ». Un nom évocateur, si l’on pense à sa version anglaise (faites vos propres recherches dans Google). Savoureux plat. Facture de plus de 40 000 soms (environ 16,04 $ CAN), bières incluses, si je ne m’abuse. De tous les débits d’alcool que j’ai visités en Ouzbékistan, j’ai constaté que c’était celui qui ressemblait le plus à un « bar traditionnel occidental ». Bon, ce n’est pas un pub à l’anglaise, mais la décoration et l’ambiance rappelaient davantage un bar qu’un restaurant. J’ai ainsi vu plusieurs personnes venir y boire sans manger. Par contre, les horribles vidéoclips diffusés sur l’écran géant vomissaient leur sexisme sur la clientèle. Bleh.
Alors que je mangeais dans un restaurant, le Saroy, un couple de mariés en habits traditionnels y est débarqué pour une séance photo. Au-delà de la gêne initiale, le couple s’est prêté à l’exercice de bonne foi. Je n’ai pas pris de photos des mariés, je sentais leur embarras et je ne voulais gâcher leur moment. Je peux même être respectueux, parfois. Côté bouffe, j’ai été satisfait, mais pas renversé. Les plats ouzbeks finissent par se ressembler, après un certain temps. J’ai payé 48 000 soms (environ 19,17 $ CAN) pour le repas et les bières.
Autres
La citadelle Ark constitue l’une des principales attractions de Boukhara. Ses murs colossaux sont visibles de loin. La citadelle fut le centre du pouvoir du khanat. Aujourd’hui, elle a été transformée en musée. Cependant, je m’attendais à une visite plus longue; oui, de nombreuses salles et cours sont accessibles, mais bon, j’avais imaginé que, vu la taille de l’ensemble, la promenade allait durer quelques heures. Nope. Pas dans mon cas, du moins. J’ai néanmoins aimé ma visite, j’ai beaucoup appris sur l’histoire de Boukhara, du khanat, etc. L’entrée coûte 12 200 soms (environ 4,86 $ CAN) pour un adulte, plus 6000 soms (environ 2,39 $ CAN) pour utiliser sa caméra. Les panoramas depuis le haut de la Citadelle raviront les photographes.
Oh la belle surprise. J’ai effectué un tour de grande roue au parc des Samanides. Pour 4000 soms (environ 1,59 $ CAN), je suis retombé en enfance et j’ai joui d’un point de vue balayant sur la ville et ses environs. Pour les couples, un tel tour peut devenir l’occasion idéale pour « necker » comme des ados en rut. J’étais seul, alors je ne saurais confirmer le bonheur de la chose.
La statue de Nasr Eddin Hodja salue les visiteurs en face de la médersa Nadir Divan-Begui. Nasr Eddin était un ouléma légendaire de la culture musulmane (c’est-à-dire un théologien, généralement sunnite), reconnu pour sa candeur empreinte de sagesse. Ses enseignements couvraient tout le spectre entre l’absurde et le génie. Il aurait vécu en Turquie entre 1208 et 1284, mais sa notoriété s’étend des Balkans à la Mongolie. Ses histoires sont racontées dans des dizaines de langues et des figurines à son effigie sont vendues à Boukhara. J’en ai acheté une.
Les ruines d’un caravansérail (un établissement où les marchands et leurs montures arrêtaient pour se restaurer) jouxtent le Musée des tapis. C’est amusant d’imaginer l’intensité des activités que devait générer un tel endroit, à l’époque de la Route de la soie. Une plongée dans un passé mythique, sur les lieux même où il s’est écrit. Ah le plaisir d’une imagination active…
Un mémorial en l’honneur des victimes de la 2e Guerre mondiale, semblable à celui de Tachkent, a été érigé dans un coin du parc des Samanides. Le mémorial inclut une statue de la « Mère éplorée », des plaques recensant les noms des 18 000 soldats boukhariotes morts au combat et une vasque pour une flamme éternelle. Cependant, lors de mon passage, la flamme était éteinte. Oups…
Boukhara a accueilli au fil des siècles une imporante communauté juive. Aujourd’hui, elle est presque disparue, la majorité de ses membres ayant quitté l’Ouzbékistan à la dissolution de l’U.R.S.S. pour Israël, les États-Unis, l’Europe ou l’Australie. J’ai tout de même aperçu une synagogue dans les petites rues autour de mon auberge.
Histoire de me gâter pour ma fête, j’avais envie d’aller dans un hammam, le Bozori Cord. Hélas, il était fermé quand j’y suis allé. J’avais pourtant tellement besoin de bons soins corporels… ça fait si longtemps. Je néglige cet aspect parfois, quand je suis au Québec. Je sais, cet aveu vous passionne. Enfin. Une des plus grandes déceptions de mon voyage en Ouzbékistan.
Et voilà pour Boukhara. Prochaine destination: Samarcande, mon rêve d’enfance.
Merci pour ton récit et ces photos! J’ai toujours eu un faible pour l’architecture islamique qui est juste dingue, surtout les mosaïques!
Ca donne envie d’aller faire un tour en Ouzbékistan du coup, un pays trop peu mis en avant!
Merci Voyage Tips! Oui, cette architecture est l’une des raisons de mon voyage en Ouzbékistan. Quel style incroyable… je te recommande le pays, il est très intéressant.
J’adore cette architecture !! Tous ces pays qui finissent en “stan” m’attirent tellement ! C’est le Kirghizstan qui est dans ma ligne de mire en ce moment…
Moi aussi j’adore cette architecture. Et moi aussi je suis fasciné par cette région du monde, j’aimerais la découvrir davantage. De ce que j’ai compris, le Kirghizstan est plus « nature » que « culture », mais, comme on dit en bon français, « it’s all good ». Merci Cindy!