Le 28 avril 2018, après un passage fort humide au parc nature Brownsberg (partie 1, partie 2), ma copine et moi avons été à Atjoni, afin d’y prendre un bateau pour Isadou, une île-resort sur le fleuve Suriname, à l’intérieur des terres. On avait prévu y rester environ trois jours, deux nuits. Le trajet était inclus – tout comme le reste – dans le prix payé pour ce séjour, soit 120 Euros par personne (environ 184,61 $ CAN). On a réservé à l’agence de notre B & B de Paramaribo, Guesthouse Famiri. Anneke, la propriétaire du B & B, nous avait affirmé que l’endroit était idéal pour relaxer. Eh bien, c’est ce qu’on allait voir.
Conversations délicates
Après avoir quitté notre fantastique guide Justin, on a pris un lift à Brownsweg, vers 14 h 45. En chemin, Mayoro (j’ai choisi cette graphie sans savoir si c’est la bonne), l’ami de notre chauffeur, a commencé à jaser avec nous. Ma copine somnolait, alors j’ai poursuivi seul les échanges. Mayoro semblait étonné de voir un couple mixte formé d’un homme blanc et d’une femme noire. Je sentais ses efforts pour ne pas juger, mais visiblement, cette situation le rendait perplexe. Je ne connais pas assez la culture du pays pour me prononcer sur cet aspect, mais peut-être qu’ici, les relations entre personnes de différentes communautés ethnoculturelles sont taboues ou découragées. Un sujet à approfondir. De plus, Mayoro n’a pas cru ma copine quand elle lui a dit qu’elle était née au Canada. Pour lui, de toute évidence, les personnes noires ne pouvaient provenir que de pays « noirs », pas de pays nordiques « blancs ». Elle lui a ensuite révélé que ses parents venaient de Haïti, qu’ils avaient émigré au Canada. Là, Mayoro a paru satisfait.
Il m’a aussi demandé comment allait le big man, s’il était strong… je ne comprenais pas où il voulait en venir. De fil en aiguille, j’ai réalisé qu’il parlait de… mon pénis. Il se questionnait à propos de ma vie sexuelle. Que répondre à un inconnu qui tient à connaître un pan aussi intime de ma vie, si tôt dans notre discussion… d’autant plus que je ne suis pas l’un de ces pathétiques voyageurs qui, lors d’une première rencontre, étale les sordides détails de son passé sexuel à tout vent, dans le but d’être socialement validé. J’ai fini par balbutier quelque chose comme « il va bien », sans entrer dans les détails. Un malaise palpable s’installa alors et le reste du trajet fut plus silencieux. Une des conversations les plus étranges de tous mes voyages.
Impressions troubles
On a posé le pied à Atjoni vers 16 h. Petite ville peuplée par des Maroons (en français « Marrons », soit les descendants d’esclaves africains qui se sont enfuis pour briser leur état de servitude. Aussi appelés « Bushinengués »), Atjoni ne m’a pas laissé une forte impression. Une ville de transit classique, bourdonnante d’activité. Des gens allaient et venaient, au gré des bateaux qui arrivaient et partaient. Mais autre chose se dégageait des lieux: une ambiance lourde générée par la présence d’un nombre notable d’hommes saouls. À 16 h 13, c’est rarement un bon signe. Les regards hébétés se superposaient aux éclats de voix et cris alcoolisés. J’ose imaginer ce que ce doit être en soirée… un pandémonium potentiellement dangereux.
On a pris place à bord d’un bateau, conduit par le chauffeur de notre fourgonnette privée. Pas de gilets de sauvetage. On a croisé les doigts pour que l’on puisse se rendre à destination sans anicroche. Contre mauvaise fortune bon coeur, on s’est laissé bercer par les mouvements de l’embarcation. Mayoro nous accompagnait. Il semblait alors plus détendu. Les paysages nous montraient une nature quasi indomptée. On a dépassé plusieurs villages de Marrons et Mayoro nous les nommait au fur et à mesure: Gingiston, Amakka-Konde, Abenaston, Kayapaati, Jaw Jaw. Il nous parlait aussi de sa vie au Suriname, de ses aïeuls d’origines africaines, etc. De meilleures discussions que celles dans la voiture, pas de doute là-dessus. Il m’a en outre proposé de fumer de la mari. J’ai décliné, puisque je ne consomme pas de drogue. Il m’a quand même montré un échantillon de son herbe. Mon constat: son pot n’est pas aussi touffu que celui que l’on peut acheter au Québec.
Arrivée à Isadou
On est arrivés à Isadou vers 17 h 15. Première impression positive. Une île coquette avec 18 cabines peintes en rose. La nôtre avait 4 lits doubles, chacun avec un filet antimoustique. Toilette et douche privées. Des cabines rustiques, mais tout de même charmantes. Oh, un poulailler avait aussi été installé sur place. Source de nourriture, j’imagine…
Maintenant, la question que tout le monde se pose: est-ce un endroit idéal pour relaxer? Oui. À vrai dire, le choix d’activités s’avère limité: baignade, farniente dans des hamacs, pêche. Frisbee, peut-être. Quelqu’un avait jugé pertinent d’apporter un drone. Plus moyen de leur échapper, on dirait. Par ailleurs, l’électricité allait et venait, un peu comme la volonté de perdre du poids après le temps des Fêtes. Un signal Wi-Fi est « captable », en théorie, mais il m’a paru faible. Enfin, la pluie tombe en abondance, ici. Abondance comme dans « déluge ».
Notre horaire a ressemblé à ceci: baignade, siestes, séances de gavage. Car oui, les repas étaient inclus; ils étaient servis vers 8 – 9 h en matinée, 12 – 13 h en après-midi et 18 h en soirée. On les prenait dans un bâtiment sans murs; tout était déposé sur un comptoir ou sur une table, on n’avait qu’à piger dans les divers contenants. Le riz volait la vedette lors de chaque repas; ça tombait bien, j’adore ça. Et je suis heureux de mentionner que, ici aussi, on a tenu compte des allergies alimentaires de ma copine.
Le premier soir, on a été dormir après le souper. Le soleil venait de se coucher. La nuit coulait peu à peu sur l’île. Une occasion rêvée pour récupérer de nos randonnées du parc nature Brownsberg.
Entre la prise de kilos, j’ai profité du fleuve, de la température idéale de son eau. Il était cependant caractérisé par un puissant courant, par endroits. Eh bien, malgré toute ma vigilance, j’ai été emporté par des rapides. Un faux pas et pouf! j’ai été happé par une force contre laquelle je ne pouvais rien. Ma copine m’a perdu de vue. Je ne sais trop combien de temps j’ai disparu du radar, mais je n’ai pu reprendre le contrôle de mon destin avant quelques secondes. J’essayais d’éviter les rochers, autant que possible, tout en luttant pour ne pas caler. J’ai fini par émerger à une quinzaine de mètres de mon point de départ, au grand soulagement de ma copine. Résultat: plusieurs éraflures aux bras et aux jambes et une otite du baigneur. Je n’ai pas perdu mes lunettes, toutefois. Je peux remercier mes cheveux longs pour ce miracle.
J’ai réussi à revenir là où s’inquiétait ma copine. On a tracé un bilan de mes blessures, puis j’ai été chercher ma trousse de premiers soins. Ma copine a ainsi joué à l’infirmière. J’ai tiré les leçons qui s’imposent de cet incident. Les rapides et moi, c’est terminé. Je me suis baigné plus tard, mais je suis resté à une saine distance des zones risquées.
À noter que, dès le dimanche après-midi, l’île s’est vidée de ses visiteurs. Ma copine et moi étions les seuls sur place. On en a profité pour se détendre dans notre nouveau fief. Le bar était ouvert. Par contre, on a essayé de nous chaparder 10 $ SR (environ 1,76 $ CAN) sur une bière: j’ai donné 50 $ SR (environ 8,79 $ CAN) pour une Parbo de 1 litre à 40 $ SR (environ 7,04 $ CAN)… et je n’ai rien reçu. On n’a pas bougé. Les femmes derrière le bar semblaient mal à l’aise. Ma copine a insisté. Elles nous ont finalement remis le 10 $ SR, avec une mauvaise foi caricaturale. Je leur aurais pourtant laissé ce 10 $ SR en pourboire, mais leur attitude m’en a enlevé le désir. Le reste de la journée fut une suite ininterrompue de moments de paresse totale. Le bonheur, quoi. Le soir, on a tenu compagnie au barman, pendant que le film Mandela and de Klerk (1997), avec Sidney Poitier et Michael Caine, était présenté à la télévision. On a été dormir après le film.
Le temps du retour
Le 30 fut notre dernier jour au Suriname. Comme de fait, le déluge a frappé Isadou de 7 h jusque vers 11 h. Déluge est ici un euphémisme. Comme si un gigantesque boyau d’arrosage avait été pointé sur l’île depuis le ciel. On a tout de même affronter la pluie pour aller déjeuner. Au retour, on a préparé nos bagages. La pluie a cessé entre-temps.
Vers 13 h, on a pris un bateau pour retourner à Atjoni. Des bâches protégeaient nos sacs, au cas où. Le trajet a duré seulement 32 minutes, cette fois, car on naviguait dans le sens du courant. On a ensuite sauté dans un taxi dans le but d’atteindre notre destination finale: la maison de Frank. On a à peine eu le temps de glisser nos sacs dans la voiture et d’y entrer que la pluie s’est remise à tomber, créant par le fait même une ambiance morne. Trajet ennuyant. On a franchi un contrôle militaire, mais, encore une fois, ils nous ont laissé partir quand ils ont vu qu’on était des touristes.
Or, au lieu de nous déposer chez Frank, comme prévu, le chauffeur nous a ramenés… au B & B Famiri, à Paramaribo. Je lui ai alors rappelé qu’on devait aller chez Frank. Le chauffeur, gêné, a passé quelques minutes sur son téléphone, puis on a repris la route. J’étais un peu las de tels rebondissements, mais au moins, cette balade dans Paramaribo nous a permis de voir de jolis temples et des rues que l’on n’avait pas arpentées. La campagne environnante possédait un charme, aussi. Je ne saurais dire combien de temps on a perdu, avec ce détour, mais on est enfin arrivés chez Frank peu avant 19 h.
Prochaine destination: chez Frank.