Marschiertor, Aix-la-Chapelle

Donc, la Suisse n’a pas constitué l’expérience que j’avais anticipée. C’était mon premier vrai voyage et c’était la première fois que je devais changer de plans de façon aussi radicale. Avec les années, j’ai vécu cette situation à maintes reprises et elle ne me stresse plus vraiment. Mais, à l’époque, j’avais l’impression que le sort de la planète reposait entre mes mains, que ma vie, mon avenir dépendait de la décision que j’allais prendre là, à ce moment précis. Comme quoi les choses peuvent paraître démesurées, dans le feu de l’action…

Décisions déchirantes

Devant l’impossibilité d’accéder à mes fonds, j’ai dû prendre une décision. J’ai par conséquent choisi de retourner à Berlin pour retrouver Frank, l’un des superviseurs de mon chantier, en espérant qu’il pourrait m’aider. Pas tant financièrement que mentalement. Ce revirement m’avait déprimé et je ne le gérais sans doute pas aussi bien que j’aurais pu. J’avais idéalisé mon voyage, tout en sous-estimant les possibilités d’imprévus. Et maintenant, les imprévus me rentraient en pleine gueule. J’ai ainsi annulé le reste de ma réservation à l’auberge de jeunesse de Zurich, j’ai été à la gare, j’ai acheté un billet avec le peu d’argent liquide qui me restait. Je suis revenu à Berlin.

Les banques, représentantes du Mal

Retour à Berlin

Je me disais que, au Kinder und Jugendkulturzentrum Maxim, on pourrait me renseigner sur la meilleure façon de joindre Frank. Je connaissais maintenant la ville, alors je n’ai eu aucune difficulté à retourner sur les lieux du chantier. Je suis donc arrivé… et j’ai été déçu par ce que j’y ai trouvé. Un endroit désert, sans vraiment d’ambiance. En plus, les superviseurs du club, qui avaient pourtant veillé sur nous, ne semblaient pas particulièrement heureux de me revoir. Hanneke surtout. Je ne m’attendais pas à une réception aussi froide. Je leur ai expliqué mon problème et ils ont contacté Frank. Il était occupé pendant la journée et la soirée, alors il ne pouvait arriver que le lendemain. On m’a laissé dormir sur un sofa, dans le club. Ambiance merdique, mais bon, au moins, j’avais un toit. Inutile de dire que, quand j’ai vu Frank, j’étais très heureux.

Revenir sur les lieux du party, après le party.

On a passé mes derniers jours en Europe ensemble. On a chillé dans Berlin, on jasait de tout et de rien. Je le sentais sincèrement heureux de me revoir. On avait développé une réelle amitié pendant le peu de temps que l’on avait passé ensemble. Comme si on se connaissait depuis des années. J’ai aussi pu découvrir la ville sous un angle différent, à travers les yeux d’une personne qui y a vécu toute sa vie. Il m’a même invité à souper chez ses parents, où j’ai pu aussi rencontrer son frère. Belle soirée.

Y a rien comme une « beer tower » pour sceller des retrouvailles.

Danger évité

On a également visité Nadine, l’une des superviseures du chantier, à son terrain de camping situé à l’extérieur de Berlin. Pour s’y rendre, on devait prendre un train de ville jusqu’à la dernière gare, dans le sud-est de la ville. Je ne suis plus certain de son nom (Rudow?). De là, Nadine devait venir nous chercher. Or, à l’une des stations, alors que je discourais sur un sujet quelconque, Frank est devenu raide, sérieux. Terrifié, même. Je voyais bien que quelque chose n’allait pas. Je lui ai demandé ce qui se passait; il ne m’a pas répondu tout de suite. Puis, quand le train est reparti, je l’ai vu se détendre. Il m’a alors raconté qu’il avait aperçu des sympathisants néonazis pénétrer dans le wagon suivant. Il m’a affirmé que, s’ils étaient entrés dans le nôtre, il aurait fallu déguerpir à toute vitesse, car ces déchets n’aimaient pas les hommes aux cheveux longs. Or Frank et moi avions les cheveux longs. Il m’a ensuite raconté quelques histoires de ses rencontres avec des Néonazis. Il m’a en outre confirmé que la fameuse scène de American History X (1998), où un homme se fait péter la mâchoire sur un rebord de trottoir, était bel et bien une pratique de ces sinistres individus…

Ne jamais oublier l’horreur.

La virée au camping de Nadine fut agréable, mais brève. Le site jouxtait un lac entouré d’arbres, comme j’en ai vu des dizaines et des dizaines au Québec. On ne s’est cependant pas baignés. On a bu. Un peu. Nadine nous a ensuite reconduits avec sa voiture jusqu’à la dernière gare de la ligne. On est rentrés dans la grande ville. Pas de Néonazis, cette fois.

Le retour

J’avais réussi à conserver assez d’argent pendant mon séjour à Berlin pour m’acheter le billet de train dont j’avais besoin pour me rendre à Francfort. Entre tristesse et joie, j’ai salué Frank et j’ai quitté Berlin pour la dernière fois. Un sentiment aigre-doux que je connaîtrai mieux, par la suite. Par ailleurs, on s’est écrit quelques fois, Frank et moi, mais le temps a fini par nous séparer. J’ai essayé de le retrouver sur Facebook, par curiosité, mais des Frank X, en Allemagne, il y en a presque autant que des Tremblay au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je n’ai donc plus de nouvelles de lui depuis fort longtemps.

Le train. Une histoire d’amour.

Dans le train vers Francfort, je revoyais mon voyage en fermant les yeux. Je savais d’ores et déjà que je recommencerais. J’avais trop aimé ça, voyager, malgré tout. J’ai tiré des leçons de cette expérience, leçons qui me servent encore aujourd’hui. Mais ça, ce sera le sujet d’un prochain billet.