Excursion dans la région d’Encarnación: à la découverte de la yerba

Yerbatero d’un jour.

Je bois du maté depuis bientôt dix ans, soit depuis mon séjour en Argentine. J’y ai pris goût grâce à mes ami-e-s de là-bas, qui m’ont évidemment « forcé » à en boire à répétition, tout en m’enseignant les étapes pour en consommer. J’aime le goût amer de l’infusion, j’aime le processus d’infusion, j’aime la convivialité liée au rituel du maté. J’ai déjà écrit un billet sur ce rituel, alors je ne reviendrai pas sur le sujet.

Un commerce d’articles pour boire du maté, à Ciudad del Este (Paraguay)

On boit du maté au Paraguay, bien sûr, mais aussi en Argentine, en Uruguay, dans le sud du Brésil (où la yerba porte le nom de chimarrão), au Chili, en Bolivie et, selon la rumeur, en Syrie et au Liban. Sans parler des pays où se trouvent des expatrié-e-s du coin ou des fans comme moi qui ont développé l’habitude en voyage. Bref, le maté est un élément culturel majeur du sud de l’Amérique du Sud. Il suffit de regarder un film argentin pour s’en rendre compte: quelqu’un y boira fort probablement du maté, à un moment ou à un autre.

L’heure du maté à Potrerillos, en Argentine

Le type de yerba peut varier d’un pays à l’autre: personnellement, je n’ai pas aimé celle que j’ai goûtée au Brésil, en raison de sa mouture trop fine, ce qui créait un genre de pâte dans ma calebasse. J’ai discuté de ce sujet avec plusieurs Argentin-e-s et c’est une opinion qui semble répandue en Argentine. Chauvinisme? Je ne sais pas. Mais la yerba brésilienne n’est pas ma préférée.

Désolé, yerba brésilienne…

Le Paraguay a aussi une version froide du maté: le tereré. Le tereré est une infusion effectuée à l’aide d’eau froide (à laquelle on ajoute des glaçons, des fruits frais et/ou des herbes comme de la menthe) ou de jus divers, afin de donner un goût rafraîchissant à la boisson. C’est délicieux, surtout quand il fait très chaud. À ma connaissance, le tereré est moins populaire à l’extérieur du Paraguay, même si la boisson est connue dans toute la région.

Un délicieux tereré par une chaude journée d’été.

Enfin, pour celles et ceux qui ne veulent pas se casser la tête, je vous suggère de boire du mate cocido, soit de la yerba en sachet. Le mate cocido se boit donc comme un thé régulier, sans la calebasse et la bombilla.

Un sachet de maté cocido.

Par ailleurs, je me suis abonné à des pages Facebook sur le maté, comme celle-ci, qui est charmante. Ses fans viennent surtout du sud de l’Amérique du Sud. On y rencontre autant l’irrésistible grand-maman qui pourrait te cuisiner une montagne de ton dessert préféré que le jeune homme en bédaine qui veut montrer son 6-pack aux dames (ou peut-être aux messieurs, qu’en sais-je). Des gens « ordinaires », quoi, qui montrent ainsi un pan de leur quotidien: par exemple, un homme publie régulièrement des photos de lui et de son maté, dans son commerce de fruits et de légumes. Une femme diffuse des photos d’elle et son maté, avec des légendes en espagnol et en guarani. Une autre femme partage de superbes photos de sa ville, Ushuaïa, au fil des saisons. Et on voit énormément de photos de plats et desserts cuisinés pour accompagner le maté. Wholesome, comme on dit en bon français. C’est le fun de voir autant de gens différents partager une même passion. Mais surtout, c’est le fun de voir une page où les fans ne s’envoient pas chier pour un oui ou pour un non.

Le maté est parfait pour une virée hivernale.

Je recommande rarement des compagnies ou des commerces, mais dans ce cas-ci, je crois que c’est pertinent. Donc, si vous avez envie de vous procurer de la yerba ou des objets liés à la consommation de maté, vous pouvez visiter plusieurs commerces de Montréal, comme l’épicerie spécialisée Sabor latino (profitez-en aussi pour vous procurer toutes sortes de produits latino-américains, tant qu’à y être, car ce serait la plus grosse épicerie du genre au Canada). La rue Saint-Hubert, entre Beaubien et Villeray, compte aussi de nombreux magasins qui vendent des produits latino-américains, alors n’hésitez pas à les visiter.

Sélection de yerbas au Sabor latino, un de mes commerces préférés de Montréal.

Enfin, il y a Ferba, une compagnie ontarienne qui vend des produits du Paraguay en ligne; elle a été fondée par un jeune immigrant paraguayen, alors il connaît son sujet.

La visite de la plantation Yerba Selecta

Le Paraguay est le berceau de la culture du maté. À preuve, le nom scientifique de l’herbe est Ilex paraguariensis. L’herbe était cultivée par les Guaranis bien avant l’arrivée des Jésuites dans la région. En apprendre plus sur cette culture était l’une des raisons de mon voyage au Paraguay. Je tenais donc à inclure dans mes plans la visite d’une plantation de yerba. J’ai choisi celle de Yerba Selecta, à la recommandation de Ramón, mon chauffeur de taxi. La plantation se trouve près de la ville de Bella Vista, surnommée la Capital de la Yerba Mate.

Yerba Selecta aime recevoir de la visite.

Les visites de la plantation se font entre des heures fixes. Dans mon cas, j’y ai été pour celle de 14 h. Je n’avais pourtant pas réservé avant d’y aller et ça n’a pas été un problème.

Horaire des visites à la plantation Yerba Selecta.

Or Ramón et moi sommes arrivés une heure en avance; on s’est donc assis à une table à pique-nique et on a jasé. Il m’a parlé de sa vie (en plus d’être chauffeur de taxi, il est aussi DJ, boulanger et pizzaïolo), de sa famille (il a une fille et il en est très fier), de la vie ici, dans la région d’Encarnación, etc. Il m’a même montré des photos de son quotidien. Je lui ai moi aussi décrit des pans de ma vie. Ce fut une excellente discussion.

Ramón et moi.

Puis, on m’a invité au guichet d’admission. Encore une fois, on m’a demandé une preuve d’identité et, encore une fois, ma photocopie de passeport a fait le travail. J’ai payé mon billet 30 000 PYG (environ 5,21 $ CAN). J’étais le seul touriste sur le site, alors j’avais le guide pour moi. La visite s’est déroulée en espagnol.

Les étapes de la culture de la yerba

D’abord, le guide m’a expliqué l’histoire de la culture de la yerba, depuis ses origines artisanales chez les Guaranis jusqu’à ses développements technologiques les plus récents. Une section extérieure montre d’ailleurs l’évolution de plusieurs machines destinées à la culture de la yerba. On constate le raffinement de l’équipement pour effectuer les mêmes étapes.

Un four ancien.

Puis, il m’a décrit l’histoire de la plantation, avant qu’on entame l’exploration des installations actuelles. On a commencé par visiter le séchoir. La yerba récoltée est déposée à même le sol, pour un premier séchage, avant d’être envoyée dans un premier four par un tapis roulant, au centre-droit de la photo ci-dessous.

L’aire de séchage. Au centre-droit, le tapis roulant. À gauche, le four.

La yerba passe ainsi dans un premier four chauffé avec du bois. Elle y est brièvement exposée à une vive chaleur, pour en extraire toute l’humidité. Cette étape évite le développement de champignons ou autres agents pathogènes.

Le premier four, où il fait plus chaud que l’enfer.

Après ce passage dans le premier four, la yerba est envoyée dans une salle au plancher roulant pour un deuxième séchage sous une chaleur moins intense. Ce séchage plus doux vient en quelque sorte figer l’herbe dans une forme consommable.

L’autre four, à la chaleur plus douce.

Une fois séchée, la yerba est entreposée dans une grande salle, en attendant d’être ensachée.

L’entrepôt, relié au deuxième four.

Je n’ai pas eu le droit de photographier ou filmer les étapes suivantes, en vertu du secret industriel, mais on a ensuite visité l’usine où se déroulent les étapes de la mouture et de l’ensachage de la yerba. D’imposantes et bruyantes machines s’occupent de ces tâches. Elles sont calibrées de façon à obtenir le rendement souhaité et elles sont régulièrement inspectées.

Une ancienne machine à ensacher la yerba.

Par ailleurs, durant l’ensachage, des échantillons sont envoyés au laboratoire pour des contrôles de qualité. Il y a un contrôle aléatoire à toutes les vingt minutes, afin de détecter tout problème avant la mise en marché.

Des branches de yerba mature.

Puis, les sacs sont empilés dans les camions de livraison, avant d’être envoyés aux divers points de vente.

Sacs de yerba séchée et moulue, prête à être ensachée pour la vente.

On a terminé la visite par la serre. Or c’est là que commence l’aventure pour les plants. Les pousses y sont cultivées, en attendant de pouvoir être transplantées dans le sol des champs connexes à la serre. Cette transplantation majeure survient après deux-trois ans de croissance. En attendant ce moment, on transplante les pousses dans différents bacs ou pots, selon leur niveau de croissance.

De jeunes pousses de yerba dans la serre.

Le guide m’a dit que, pour lancer une plantation et commencer la production de façon commerciale, il faut entre cinq et sept ans de préparation, toutes étapes confondues. Il affirme que c’est un processus semblable à celui pour lancer un vignoble.

Plants matures de yerba âgés d’environ 15 ans.

On a terminé la visite en retournant dans la boutique. J’y ai visionné un film sur l’histoire du maté au Paraguay (en espagnol, avec sous-titres en anglais). Les Guaranis connaissaient les secrets de cette culture et, à force d’observation et de persévérance, les Jésuites avaient réussi à les percer. Mais après leur expulsion du Paraguay, ces secrets sont retombés dans l’oubli, jusqu’à ce qu’un agronome allemand, Federico Neumann, les redécouvre, en 1900. Par exemple, il a compris qu’il ne fallait pas planter les pousses dans le sol trop vite, qu’il fallait d’abord les laisser croître dans une serre, afin de maximiser leurs chances de survie. Autre élément tristement fascinant du film: au fil des siècles, la culture de la yerba a donné lieu à toutes sortes d’abus envers les travailleurs par les entrepreneurs. Une forme d’esclavage, quoi. Le côté sombre du maté.

Différentes étapes de croissance, différents pots.

Enfin, j’ai pu déguster un excellent maté, en ayant d’agréables conversations avec l’employée de la boutique et une cliente âgée, dont une des petites-filles vivait à Vancouver. J’ai aussi regardé la marchandise et j’ai effectué plusieurs achats: calebasse, bombilla, yerba, riz.

Sans RIZ-re?

Je ne savais pas qu’on produisait du riz au Paraguay .

Ben oui, toé.

Ça, par contre, ce n’est pas une surprise. À gauche, une marque nationale paraguayenne; à droite, un sac de yerba de la plantation Yerba Selecta.

Un arrêt à Capitán Miranda

Sur le chemin du retour, on a fait un arrêt à Capitán Miranda, un district du département d’Itapúa, à environ 10 kilomètres d’Encarnación, sur la Ruta 6. Ramón voulait passer chez lui pour ramasser des empanadas et des pains préparés par sa femme et lui-même. Il a partagé ces pains avec moi. Ils étaient délicieux.

De retour à Encarnación, juste à temps pour un coucher de soleil mémorable sur le fleuve Paraná.

On est revenus devant mon hôtel vers 18 h; j’ai payé l’excursion avec une carte de crédit; Ramón possède un terminal portatif dans sa voiture. Je l’ai remercié pour tout et je lui ai demandé qu’il me laisse son numéro de téléphone, au cas où quelqu’un de mon entourage ou de mon lectorat voudrait recourir à ses services. Si c’est le cas, vous pouvez me contacter.

Une excursion inoubliable

Une visite recommandée.

Au final, j’ai adoré ma journée. La température était idéale, les sites étaient intéressants et Ramón fut un chauffeur parfait. Est-ce que j’aurais pu payer moins cher pour cette excursion? Sans doute. Mais je pense en avoir eu pour mon argent. Amplement. Et c’est tout ce qui compte.

Prochain billet: impressions générales sur le Paraguay.