Julieta Venegas: enfin

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Enfin!

Dans mon billet précédent, je présentais mon séjour à New York, les 9 et 10 septembre. La raison de ce court voyage était un spectacle de Julieta Venegas (le 10, plus précisément). Dans ce billet, je vais parler dudit spectacle, mais aussi comment un fan de métal endurci comme moi s’est retrouvé là-bas.

Un (pas si) lourd secret

Je dévoile ici un secret: le premier album que j’ai eu dans ma vie fut Thriller (1982), de Michael Jackson. Comme tout le monde à cette époque-là, d’ailleurs: avec près de 70 millions de copies vendues, à ce jour, selon le livre Guinness des records, il s’agit de l’album le plus vendu de tous les temps. Puis, j’ai reçu Whitney Houston (1985), de Whitney Houston, qui s’est vendu à plus de 30 millions de copies. J’avais des goûts populaires, à l’époque.

Ensuite, grâce à la Maison Columbia, j’ai découvert AC/DC, puis Sepultura. Arise (1991) a changé ma vie. Extreme Aggression (1989) de Kreator aussi. J’ai ensuite trouvé des groupes comme Cannibal Corpse, Entombed, Exodus et Nuclear Assault. Les vannes de l’underground ont vraiment commencé à s’ouvrir pour moi quand j’ai acheté mon premier numéro du magazine Metal Maniacs, durant l’hiver 1992. Par exemple, je me suis procuré – notamment – l’album Effigy of the Forgotten (1991), de Suffocation, peu après sa sortie, alors qu’on le présentait dans certaines publicités comme The Heaviest Album of All Time. Une affirmation audacieuse, surtout selon la définition de heavy privilégiée, mais je suis quand même convaincu que cet album appartient à cette conversation, même aujourd’hui encore. À preuve:

Par ailleurs, mon premier spectacle à vie fut Napalm Death, Brutal Truth et B.A.R.F., au théâtre Granada de Sherbrooke, le 10 juillet 1993. Je me rappelle de la date, parce que j’avais alors acheté un t-shirt beaucoup trop grand, avec les dates de tournée inscrites dans le dos de celui-ci. Oui, j’ai encore le t-shirt et oui, il est encore trop grand.  À vrai dire, j’avais assisté à un spectacle de Henri Dès à mon école primaire, mais il ne compte pas; on m’avait forcé à y assister, alors que j’avais CHOISI Napalm Death.

J’écoute ainsi du métal depuis plus de 30 ans. J’écoute aussi du grindcore, du crust, du hardcore, du punk, du powerviolence, de l’industriel (métal et non-métal), de la musique expérimentale, etc. Bref, tout ce prétentieux préambule pour dire que j’ai toujours été attiré par l’extrême dans la musique. Je suis donc – en surface, du moins – une personne qui ne devrait pas aimer une musique pop bien fruitée.

Puis, un jour, j’ai découvert la chanteuse mexicaine Julieta Venegas.

Un hasard aux conséquences durables

Il y a une douzaine d’années, je suis tombé sur un billet de blogue sur l’Argentine (à l’époque où le lisais tous les blogues que je croisais sur le Web). L’auteur y mentionnait l’auteur/compositeur/interprète/producteur argentin Coti et, dans son billet, il a publié un lien vers la chanson Nada fue un error. C’était une version avec la participation de Paulina Rubio (la blonde, soit… la rubia), une autre chanteuse mexicaine, et de Julieta Venegas (à la chevelure noire). J’ai aimé ce que j’ai entendu. Je ne sais pas pourquoi, en fait, mais la voix de Julieta m’avait accroché. Il y a des artistes qui nous ensorcelle, sans raison autre que c’est comme ça.

J’ai donc commencé à chercher sa musique et, voilà, une douzaine d’années plus tard, je me paie un voyage à New York pour enfin la voir en spectacle.

Une improbable histoire d’amour

J’ai débuté mon parcours vénégasque par son album le plus connu, Limón y Sal (2006), son quatrième, puis, j’ai enchaîné avec ses autres disques. Mes préférés? Si (2003), Limón y Sal et Otra Cosa (2010). J’aime les autres, aussi, mais ces trois-là me plaisent particulièrement. L’oeuvre de Julieta est ancrée dans la musique pop, mais, grâce au fait que Julieta joue 17 instruments (!), elle peut intégrer diverses textures sonores dans ses chansons. En outre, Julieta accorde une place importante à l’accordéon dans ses créations, ce qui donne du caractère à sa musique.

Certes, d’aucuns pourraient dire que Julieta n’a pas la voix la plus ciselée, côté technique, mais ce n’est pas si important que ça. Après tout, un auteur peut bien maîtriser le subjonctif plus-que-parfait, s’il n’est pas capable de raconter une histoire, il ne réussira pas à susciter des émotions, à joindre un public. Souvent, la personnalité compte davantage que la technique. D’autres pourraient même affirmer que sa voix est ennuyante, mais je pense que Julieta connaît ses limites et elle sait naviguer entre celles-ci. Elle crée ainsi des mélodies qui parfois semblent de prime abord banales, mais elles parviennent néanmoins à s’incruster dans la mémoire au fil des écoutes. Elle évite le flamboyant pour se concentrer sur l’efficace et ça joue en sa faveur.

Quant à ses paroles, on sent qu’elles sont puisées dans ses expériences et qu’elle les ressent quand elle les chante. Et que chante-t-elle? L’amour, surtout. À sa manière. Ses paroles ne sont jamais complètement tristes, mais jamais complètement exubérantes non plus. Ses extrêmes seraient Última Vez pour la tristesse et Dulce compañía pour l’exubérance. C’est comme si, pour elle, il y avait toujours un côté fataliste à l’amour, comme si chaque histoire, même dans ses meilleurs moments, était vouée à une fin inévitable.

Pour Julieta, le bonheur n’est jamais statique, car il fuit, avec la complicité du temps, et on ne peut le conserver que dans ses souvenirs. Une mélancolie imprègne donc ses paroles, mais aussi sa musique. Mais cette mélancolie est nuancée. Aigre-douce, pourrait-on dire, du genre « je suis heureuse que ce soit arrivé, mais je suis triste que ce soit terminé ».

De plus, l’idée de fin revient souvent dans ses paroles, surtout le rêve d’une possible fin heureuse, malgré tout.

D’ailleurs, j’ai toujours trouvé que certaines paroles de Todo Está Aquí (Algo Sucede; 2015) s’appliquent particulièrement bien aux voyageurs:

Y quizás un día te muestre la verdad
Pero hoy solo puedo darte este día
Y lo que soy en este momento

Traduction libre:

Et peut-être qu’un jour je te montrerai la vérité
Mais aujourd’hui je ne peux que te donner ce jour
Et ce que je suis en ce moment

L’histoire de bien des romances de voyage, quoi.

La genèse du voyage

C’est mignon tout ça, mais vous devez vous demander (ou non) comment je me suis ramassé à New York. Bon. Un jour, je perdais des minutes non productives sur Facebook et j’ai alors vu une publication sur la page de Julieta: elle y annonçait un spectacle le 10 septembre, au Beacon Theatre de New York. Or je suis abonné à sa page depuis des années et c’était, à ma connaissance, la première fois qu’elle annonçait un spectacle dans le nord-est des États-Unis. Je savais qu’elle faisait régulièrement des spectacles dans le sud, comme en Californie ou en Floride, mais là, elle était – relativement – tout près de chez moi.

Je craque pour l’accordéon.

J’ai ensuite vérifié les prix des billets. Ils coûtaient cher, mais je tenais absolument à la voir au moins une fois dans ma vie. C’était maintenant ou jamais. J’ai donc acheté le billet. Le prix: 194,25 $ US (environ 279 $ CAN). Ouch. Je n’ai jamais payé aussi cher pour un billet de spectacle. Mais c’était Julieta.

Julieta est en feu.

Une parenthèse, ici: ces prix de billet élevés semblent devenir la norme. Les artistes internationaux demandent de plus en plus d’argent pour payer tous les frais inhérents à une tournée, puisque les ventes d’albums ont fortement décliné au cours des dernières années. Et le streaming n’apporte presque rien aux artistes, en termes de revenus. J’ai l’impression que l’époque des billets à 20-30$ pour des spectacles d’artistes reconnus est révolue et qu’elle ne reviendra jamais.

Un revirement frustrant

Re-bonjour Manhattan!

Or, deux semaines après l’achat de mon billet, j’ai vu que Julieta avait ajouté un spectacle… à Montréal. D’OH! Sa première visite ici. J’étais contrarié. J’ai alors évalué l’option d’annuler mon séjour à New York pour assister au spectacle de Montréal. Est-ce que ça m’aurait coûté moins cher à Montréal? Oui, et de beaucoup. Juste pour le billet: environ 200 $ CAN à Montréal vs 279 $ CAN à New York. Au final, j’ai conclu que l’argent n’avait pas à être une grande préoccupation, face à la possibilité de voir une de mes artistes préférées dans une ville mythique que j’avais jadis beaucoup aimée.

Le spectacle… enfin.

Faque je me suis ramassé à New York. Motivé, je me suis pointé au Beacon Theatre très en avance. J’étais le premier dans la file et le premier à entrer dans la salle. Le personnel a trouvé mon enthousiasme amusant.

Je serai là.

La salle, conçue par l’architecte Walter W. Ahlschlager, était magnifique. Elle m’a rappelé celle du Rialto, à Montréal, ou du Granada, à Sherbrooke. Je me suis assis, puis, j’ai observé l’arrivée des autres fans. J’étais au balcon et j’étais plus éloigné de la scène que ce que j’avais imaginé. Mais la vue sur celle-ci était tout de même grandiose.

Le somptueux Beacon Theatre.

Puis, à l’heure prévue, les lumières se sont éteintes, entraînant une série de cris stridents. La salle n’était pas remplie, mais l’enthousiasme de la foule – féminine, en majorité – a largement compensé pour les sièges vides.

Une rangée de… deux sièges?

Julieta est arrivée sur scène, en compagnie de trois musiciens (batteur, bassiste et guitariste/claviériste). Ils ont commencé avec Dime la verdad, tirée de son huitième et plus récent album, Tu Historia (2022). Et les chansons se sont enchaînées en un rythme fluide. Il n’y a eu aucun temps mort et Julieta n’intervenait que brièvement entre les chansons.

La mise en scène était sobre, avec les éclairages appropriés. Par contre, ceux-ci avaient tendance à nuire à la prise de photos ou le tournage de vidéos; soit les faisceaux pointaient vers la foule, soit ils se concentraient trop sur Julieta. La qualité des photos/vidéos dans ce billet laisse donc à désirer et j’en suis désolé. Et oui, je sais, c’est mieux d’assister à un spectacle sans être collé sur son téléphone, mais j’attendais ce moment depuis trop longtemps pour ne pas en rapporter quelques souvenirs électroniques.

Julieta a joué de l’accordéon (c’était HOT), de la guitare et du clavier. Ses musiciens demeuraient discrets, ils exécutaient les chansons sans faute. Les chansons restaient généralement fidèles à leur version studio, à quelques détails près. Seuls les vrais fans (comme moi, bien sûr) auraient pu détecter ces légères variations. Aussi, le son était généralement bon, clair, tous les instruments étaient audibles et équilibrés.

Julieta bougeait peu, sauf quand elle n’avait pas d’instrument, comme dans Eres para mí, au grand plaisir de la foule.

Lorsqu’elle jouait, Julieta dégageait une timidité charmante, comme une version mexicaine d’Amélie Poulain. Mais, entre les chansons, Julieta parlait VITE (en espagnol seulement, en plus). Comme si elle avait peur que, si elle ne disait pas tout ce qu’elle pensait au moment où elle le pensait, elle allait l’oublier.

CRISSE QUE C’EST BON.

Il n’y a pas eu d’invités spéciaux, ce que j’ai trouvé un peu dommage, considérant que Julieta a joué avec pratiquement tous les musiciens hispanophones d’envergure des 25 dernières années. Et comme New York est un des épicentres de la culture mondiale, il devait bien y avoir quelqu’un d’intéressant en ville qui aurait pu la joindre sur scène. Mais non. Tant pis.

Quel charme…

En tout, Julieta et ses musiciens ont joué 22 chansons, dont deux en rappel. Le spectacle a duré 1 h 30, mais j’ai eu l’impression qu’il a passé en un claquement de fesses. La foule fut particulièrement enthousiaste sur Eres para mí, Original et la dernière, Limón y Sal. Moi? J’ai été enthousiaste pendant les 22 chansons. J’en aurais pris 22 autres.

Voici le set list, dans l’ordre:

  1. Dime la verdad
  2. Caminar sola
  3. Bien o Mal
  4. Ese camino
  5. Algo esta cambiando
  6. La Nostalgia
  7. Amores Platónicos
  8. Esperaba
  9. Debajo de Mi Lengua
  10. Mismo amor
  11. Eres para mí
  12. En Tu Orilla
  13. Original
  14. Despechada mexicana
  15. Despedida
  16. Andar conmigo
  17. Lento
  18. Un lugar
  19. Me voy
  20. El Presente

Rappel

21. Oleada

22. Limón y Sal

Déjà fini…

C’était une excellente sélection, qui couvrait cinq de ses huit albums. Elle n’a rien joué de ses deux premiers (Aqui, 1997; Bueninvento, 2000) et de son sixième (Los momentos, 2013). Je comprenais pour les deux premiers, qui sont assez différents de ce qu’elle a créé par la suite, mais je m’attendais à ce qu’elle joue au moins une de Los momentos, comme No Creí. Dommage.

J’étais tout de même heureux d’avoir entendu plusieurs de mes chansons préférées: Bien o Mal, Original, Debajo de Mi Lengua, Andar conmigo, Me voy, En Tu Orilla, etc. Évidemment, elle n’a pas joué d’autres de mes chansons favorites, comme Canciones de amor, Eterno ou Seguiré viva, mais c’est normal, on ne peut tout jouer, quand on a huit albums dans lesquels piger.

Serein

J’étais là.

À la fin du spectacle, je suis resté assis quelques instants pour absorber tout ça (et laisser des gens sortir). Dans le hall se trouvait une table avec de la marchandise, mais je n’ai pas acheté de t-shirt. Ils n’étaient pas à mon goût. J’ai quitté le Beacon Theatre et j’ai marché sur Broadway, jusqu’à mon auberge. Serein. J’étais heureux d’avoir enfin, enfin vu une de mes chanteuses préférées. Ce voyage aura valu la peine. Et l’argent.